Aux Etats-Unis, une industrie nucléaire à reconstruire
28/06/10 Les Echos
A Chattanooga, dans le Tennessee, Alstom vient d'investir 300 millions de dollars dans une nouvelle usine appelée à fabriquer des turbines pour des centrales nucléaires.
Pour Chattanooga, la petite ville du Tennessee, les trois dernières décennies n'ont pas été roses. En 1979, l'accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island, en Pennsylvanie, a stoppé le développement de l'atome aux Etats-Unis. Et l'usine locale de la société Combustion Engineering, dont les 5.000 employés ont produit les cuves des réacteurs américains dans les années 1960, s'est éteinte à petit feu.
Trente ans plus tard, Chattanooga espère connaître le même sort que Le Creusot, en France, qui a été ressuscité grâce au réveil du nucléaire. Alstom, le groupe français d'équipement électrique et ferroviaire, l'a choisie pour y installer sa nouvelle usine de turbines. Située au bord du Tennessee, qui lui permet d'atteindre par voie fluviale 80 % des sites nucléaires américains, elle a notamment été conçue pour servir ce secteur.
« Nous sommes très excités de voir l'industrie nucléaire revenir à Chattanooga », s'exclamait jeudi dernier lors de l'inauguration le gouverneur du Tennessee, Phil Bredesen. L'élu démocrate appartient à ceux qui croient en la renaissance de l'atome, malgré ses débuts poussifs outre-Atlantique, et voit dans la marée noire causée par BP dans le golfe du Mexique une raison supplémentaire de relancer la filière. « Cette crise doit nous amener à repenser notre politique énergétique. »
L'argument : cette catastrophe montre que le pays ne peut pas dépendre uniquement des énergies fossiles, comme le pétrole, le gaz ou le charbon, et qu'il doit se tourner vers les énergies renouvelables et le nucléaire, qui n'émet pas de CO2.
Acceptabilité fragile
La filière nucléaire française, en tout cas, se tient prête. Alstom a dépensé 300 millions de dollars dans cette installation flambant neuve. De son côté, Areva va investir 360 millions de dollars dans une usine de composants à Newport News, en Virginie, et 2 milliards de dollars dans un site d'enrichissement, dans l'Idaho. C'est aussi dans cet esprit qu'EDF a mis 4,5 milliards dans une société commune avec l'électricien Constellation.
Mais la renaissance attendue prend du temps. L'acceptabilité du nucléaire demeure fragile aux Etats-Unis. « Et le financement reste un problème majeur », estime Mike Howard, de l'Institut de recherche sur l'énergie électrique (Epri). Barack Obama a promis de porter de 18 à 54 milliards de dollars l'enveloppe de crédits garantis pour construire des centrales nucléaires, mais rien de formel n'a été signé…
Selon Hervé Machenaud, en charge de l'ingénierie et de la production chez EDF, « la renaissance est irréversible, mais elle se fera avec une industrie américaine qui est aujourd'hui en état de refondation ». « Les gens veulent des emplois, c'est ce qu'ils veulent entendre », confirme George Vanderheyden, président d'Unistar Nuclear Energy, le joint-venture formé entre EDF et Constellation. La filière française compte créer 1.140 emplois outre-Atlantique, dont 300 à Chattanooga.
Rénover l'existant
Alstom est serein. « Il y aura de la demande aux Etats-Unis, estime son PDG Patrick Kron. Qu'elle s'exprime dans le nucléaire, le charbon ou le gaz, nous y participerons. » De fait, le site de Chattanooga pourra assembler ses turbines géantes Arabelle pour centrales nucléaires mais aussi pour centrales à gaz. « L'usine a été dimensionnée pour le nucléaire, mais elle peut tout faire », précise Aurélien Maurice, directeur du projet.
Le groupe mise avant tout sur la rénovation des réacteurs existants, thermiques ou autres. Une remise à neuf qui pourrait concerner une centaine de tranches nucléaires américaines. Elle permet d'allonger de quarante à soixante ans leur durée de vie, tout en augmentant leur capacité. Selon Guy Chardon, numéro deux d'Alstom Power, certaines centrales pourraient même aller jusqu'à quatre-vingt-dix ans. A quelques centaines de millions de dollars l'opération, contre 5 à 10 milliards pour un nouveau réacteur, cela pourrait bien être la priorité des électriciens…