Message
par kercoz » Hier, 23:06
Ah! les voyages ....même pas foutu de se l'organiser tout seul .....""On est cons mais pas au point de voyager pour le plaisir (Deleuze reprenant Beckett)
Montons un peu le niveau du forum:
//////////////« Je n’ai aucune sympathie pour les voyages, mais c’est pas un principe chez moi. Je ne prétends pas avoir raison, dieu merci ! Mais pour moi, si tu veux, je me dis qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a dans le voyage ? D’une part, ça a toujours un petit côté de fausse rupture. Ça je dirais, moi, ça c’est le premier aspect… Qu’est-ce qui me rend… Je réponds uniquement pour moi. Qu’est-ce qui me rend le voyage antipathique ?
Première raison c’est que c’est de la rupture à bon marché. Bon… Et euh… Je sens tout à fait ce que disait Fitzgerald quoi ! Il ne suffit pas d’un voyage pour faire une vraie rupture. Si vous voulez de la rupture, bah faites autre chose que des voyages, parce que finalement qu’est-ce qu’on voit ? Les gens qui voyagent… Ils voyagent beaucoup, et puis après, ils en sont même fiers. Ils disent que c’est pour trouver un père. Ahaha ! Il y a des grands reporters, ils font des livres là-dessus. Ils ont tout fait, ils ont fait le Vietnam, l’Afghanistan, tout ce qu’on veut… Et ils disent, froidement, qu’ils n’ont pas cessé d’être à la recherche d’un père. Ahahah ! C’est pas la peine. Le voyage c’est…ça a un trait quand même très œdipien dans ce sens. [sourire] Bon et bien… Je me dis : « non, ça va pas ça ».
La seconde raison c’est que… Il me semble qu’il y a une… Je suis très touché par une phrase admirable, comme toujours, de Beckett qui fait dire à l’un de ses personnages, à peu près… Je cite mal, c’est encore mieux dit que ça. C’est… Euh ! « On est con quand même, mais pas au point de voyager pour le plaisir ». Bon et bien, moi, cette phrase, elle me paraît tout à fait satisfaisante. Moi je suis con, mais pas au point de voyager pour le plaisir, non, tout de même pas. Bon.
Puis, il y a un troisième aspect du voyage… Alors, moi, je me dis… Alors tu me dis « nomade », oui ! J’ai toujours été fasciné par les nomades, mais c’est précisément parce que les nomades c’est des gens qui ne voyagent pas. Ceux qui voyagent, ce sont les émigrants. Il peut y avoir des gens extrêmement respectables qui sont forcés de voyager. Les exilés, les émigrants, ça ce sont des genres de voyages dont il n’est pas question de se moquer, parce que c’est des voyages sacrés, c’est des voyages forcés, c’est des voyages… Bon, très bien ! Mais les nomades, ils ne voyagent pas. Les nomades au contraire, à la lettre, ils restent immobiles, c’est-à-dire… Tous les spécialistes des nomades le disent, c’est parce qu’ils ne veulent pas quitter. C’est parce qu’ils s’accrochent à la terre, c’est parce qu’ils s’accrochent à leurs terres. Leurs terres deviennent désertes et ils s’y accrochent, et ils ne peuvent que nomadiser dans leurs terres. C’est à force de vouloir rester sur leurs terres qu’ils nomadisent. Donc, dans un sens, on pourrait dire que rien n’est plus immobile qu’un nomade. Rien ne voyage moins qu’un nomade. C’est parce qu’ils ne veulent pas partir, voilà, qu’ils sont nomades. Donc… Et c’est pour ça qu’ils sont continuellement persécutés.
Et puis enfin, presque le dernier aspect du voyage qui ne me le rend pas très… Là, je trouvais… Il y a une phrase de Proust qui est très belle qui doit : « Finalement qu’est-ce qu’on fait quand on voyage ? On vérifie toujours quelque chose ». On vérifie que telle couleur qu’on a rêvé se trouve bien là. A quoi, il ajoute – c’est très important ! – il dit : « un mauvais rêveur est quelqu’un qui ne va pas voir si la couleur qu’il a rêvé était…est bien là ». voilà. Mais un bon rêveur, il sait qu’il faut aller vérifier ; voir si la couleur était bien là, est bien là. Ça, je me dis que c’est une bonne conception du voyage, mais sinon… [sourire]
Non ! En même temps, il y a des voyages qui sont de véritables ruptures. Par exemple, la vie de Le Clézio actuellement me paraît quelque chose là où il opère sûrement une rupture. Lorentz… Lorentz, oui ! Il y a trop de grands écrivains pour lesquels j’ai une grande admiration et qui ont un sens du voyage… Stevenson ! Je me dis les voyages de Stevenson, c’est pas rien hein ! tout ça. Donc ce que je dis n’a aucune généralité. Je dis, pour mon compte, quelqu’un qui n’aime pas les voyages, ça doit être pour ces quatre raisons-là. (…)
Je n’ai pas besoin de bouger. Moi… Toutes les intensités que j’ai c’est des intensités immobiles. C’est… Tu sais, les intensité ça se distribue ou dans l’espace ou bien dans…dans d’autres…systèmes, dans d’autres… Bon. Pas forcément dans l’espace extérieur. Je t’assure que quand je lis un livre que j’admire, que je trouve beau, ou quand j’entends une musique que je trouve belle, vraiment, alors j’ai le sentiments de passer par de telles étapes… Jamais un voyage ne m’a donné de pareilles émotions. Alors pourquoi j’irai les chercher ces émotions qui ne me conviennent pas très bien alors que je les ai, pour moi, en plus beau, dans des systèmes immobiles ? La musique ou la philosophie ? Il y a une géo-musique, il y a une géo-philosophie, je veux dire c’est des pays profonds. Bah, c’est plus mes pays, oui ! Mes terres étrangères à moi, alors je les trouve pas dans les voyages. Bon »./////////////// Deleuze ...élève de Macron ou le contraire.
L'Homme succombera tué par l'excès de ce qu'il appelle la civilisation. ( Jean Henri Fabre / Souvenirs Entomologiques)