
réponse du monsieur (c'est privé normalement, mais bon c'est pas tres compromettant...)Gilles a écrit : Cher M. Attali
j'ai mis un peu de temps à vous répondre, parce que votre réponse demande une réponse un peu élaborée. Il est difficile d'argumenter en quelques lignes sur un sujet aussi complexe, je donnerai juste quelques éléments de réflexion tiré du plus récent rapport "Word Energy Outlook" de l'AIE. Dans ce rapport , figure le graphique suivant
derrière la croissance rassurante jusqu'en 2030, est cachée une partie inquiétante : la partie en rouge "champs à découvrir". Il est bien évident qu'on ne peut pas calculer la production de champs qu'on n'a pas encore découverts ! cette partie en rouge ne peut etre donc que calculée comme une différence entre ce qu'on aimerait avoir (la courbe totale) et ce qu'on pense avoir (tout le reste). L'AIE est tres clairement en train de dire : nous ne connaissons pas encore les gisements qui nous permettraient d'assurer la croissance de la production pétrolière jusqu'en 2030. Si on enleve la partie en rouge, le pic arrive manifestement vers 2015 (et meme avec, la courbe ne croit que tres modestement de 1 % / an, ce qui est inférieur à la simple croissance démographique....).
Maintenant, posons la question : est-il plausible de trouver les gisements correspondants à la partie rouge ? Il faudrait pour cela qu'ils puissent produire environ 20 Mb/j en 2030 (l'équivalent des deux plus grands producteurs mondiaux, l'Arabie Saoudite et la Russie). Si on admet un ratio moyen R/P de 30 ans, ça ferait environ 200 milliards de barils. Mais il y a toutes les chances que ce soient des ressources difficiles d'accès et que la production soit inférieure, ce qui conduit à augmenter la quantité à trouver : 300, 500, 1000 Gbl ???
d'autre part, ces mêmes difficultés font qu'il est de plus en plus long de mettre en production des nouveaux gisements, voir par exemple Kashagan. Il faut donc les avoir trouvés d'ici 2020 environ. Il faut donc un rythme annuel de découvertes de nouveaux gisements entre 20 au mieux, peut etre 50 ou 100 Gbl/an. C'est le rythme le plus elevé qui a été obtenu dans les années 60, alors que la prospection pétrolière battait son plein. Actuellement, il n'est plus qu'entre 5 et 10 Gbl/an , bien loin de la consommation annuelle (30 Gbl/an).
Bref, il est tres improbable que la partie rouge soit effectivement remplie. A noter aussi que la partie bleu clair, les "gisements à développer encore" devrait connaitre une accélération considérable apres 2010 pour etre remplie. C'est le message que l'AIE distille depuis quelques temps en urgeant les pays producteurs d'investir considérablement dans de nouvelles productions pour éviter que "les roues du système ne tombent" , selon les propres mots de son directeur, Fatih Birol. Je pense que vous serez d'accord pour dire que le moment n'est pas tres propice à des gros investissements, vu l'assèchement des financements et les faibles perspectives de consommation. Il me parait donc tres probable qu'un pic de production/consommation soit imminent, il est d'ailleurs tout a fait possible qu'il soit cette année quand on regarde les prédictions à court terme.
Y a-t-il un espoir pour que ça "reparte" après ? pour cela, il faudrait pouvoir à nouveau remonter au-dessus du niveau actuel, et tout cela avec l'essentiel des gisements dont on ne sait rien. Plus on attend, plus la dépletion des champs conventionnels agit, en environ - 5 %/an, et dans quelques décennies l'essentiel de la production des champs géants se sera épuisée. Alors par quel miracle arriverait-on à faire plus avec des gisements petits, dispersés, difficiles techniquement et chers économiquement à exploiter ? par quel miracle ces gisements se développeraient à un rythme bien supérieur à celui des champs supergéants ou il suffit de creuser pres du sol pour que le pétrole jaillisse à flots ? par quel miracle l'économie redeviendrait florissante avec une énergie durablement chère qui impacterait considérablement le pouvoir d'achat, et donc la demande ?
Je sais bien qu'on nous "vend" un cocktail d'énergies de remplacement, solaire, éolien, nucléaire, tout ça produisant abondamment de l'hydrogène qui va actionner tous nos véhicules. Ca demanderait encore quelques lignes d'argument, mais pour faire bref : je n'y crois pas. Pratiquement tout ce qu'on nous propose ne produit que de l'électricité, qui ne couvre au mieux que 30 à 40 % des besoins, et une bonne partie des techniques souffre des problèmes d'intermittence qui limite en pratique leur part à 20 % de l'electricité produite. On arrive péniblement à 6 à 8 % de nos besoins énergétiques, c'est un ordre de grandeur qui manque. Le nucléaire conventionnel a des réserves tres insuffisantes pour le monde entier, les surgénérateurs sont encore dans des cartons et se heurtent à tout un tas de problemes techniques et politiques. Leur taux de développement est de toutes façons bien insuffisant pour faire face à la dépletion pétrolière (elle se ferait au minimum avec un taux de - 2 ou - 3 % par an, ce qui correspond à la disparition chaque année d'une centaine de réacteurs nucléaires, soit 20 % du parc mondial !!!!). quant à l'hydrogène... j'attends de voir un véhicule à hydrogène dans la rue, autre part que sur un site publicitaire de constructeur automobile sur internet !!!
Vous etes plus économiste que moi, mais je me permets de faire une remarque "économique" : le bouleversement du XXIe ne sera pas le manque soudain de pétrole, mais simplement le passage d'une économie où la ressource n'etait pas un probleme, à celui d'une économie contrainte par les ressources. Je pense que cela bouleversera bien plus profondément que ce qu'on imagine le visage du siècle, et tres probablement marquera la fin de la croissance économique comme nous l'avons connue - mais il faut bien qu'une croissance exponentielle se termine à un moment ou à un autre, n'est ce pas ?
bien cordialement
j'en conclus deux choses :Jacques Attali a écrit : Très impressionnant.
---- Envoyé avec BlackBerry® d'Orange ----
il n'a pas encore vraiment creusé le probleme, mais il pourrait peut etre y etre sensible si on arrive à le convaincre que ça mérite d'y passer un peu plus de temps que ce qu'il a fait jusqu'ici.
et que le blackberry d'Orange n'a pas l'air tres compatible avec l'encodage de mon mailer
