par energy_isere » Hier, 18:57
Comment le Brésil s'impose peu à peu comme une alternative à la Chine pour les terres rares
Raphaël Raffray 04 nov 2025
Alors qu’une guerre commerciale oppose Pékin à Washington, les terres rares se retrouvent au cœur d’un bras de fer technologique. Le Brésil, qui en détient les deuxièmes plus grandes réserves mondiales, espère tirer son épingle du jeu. Mais son manque d’infrastructures de raffinage et de capacités technologiques continue de semer le doute sur sa faculté à réellement concurrencer la Chine.
A-t-on enfin trouvé le nouvel eldorado? Longtemps recherché par les explorateurs à travers toute l’Amérique du Sud, il ne s’agit pas d’or cette fois, mais bien de terres rares. Et leur gisement se trouverait au Brésil.
Alors que Pékin a annoncé de nouvelles restrictions sur l’exportation de terres rares, ces minéraux essentiels aux semi-conducteurs, smartphones, véhicules électriques et autres technologies stratégiques, les États-Unis se sont immédiatement tournés vers d’autres sources pour éviter toute perturbation de leurs chaînes industrielles. Et ce, malgré les récentes annonces qui ont quelque peu apaisé les tensions.
Avec près de 70 % de la production mondiale et 90 % du raffinage des terres rares, la Chine dispose d’un levier commercial et géopolitique majeur, confirmant son rôle de puissance incontournable dans ce domaine. Les terres rares se trouvent ainsi principalement en Chine, mais aussi en Australie, en Russie, en Inde, au Vietnam et également au Brésil. Cependant, leur exploitation ne dépend pas seulement de la géologie : elle repose également sur les investissements, les technologies et le cadre réglementaire.
Des gisements stratégiques
"Quand on parle de réserves, il ne s’agit pas seulement de ce qui est présent dans le sol", explique Julie Michelle Klinger, professeure agrégée à l’Université du Delaware, à Rest of World. "On parle de ce qui est économiquement et politiquement viable à exploiter, ce qui dépend autant de la technologie et des financements que de la géologie". Aujourd’hui, les États-Unis importent environ 80 % de leurs besoins en terres rares depuis la Chine, la Malaisie et d’autres pays.
Le Brésil, qui possède les deuxièmes plus grandes réserves mondiales de terres rares, offre une alternative prometteuse aux approvisionnements asiatiques. Concentrés principalement dans l’État de Goiás, ses gisements d’argile ionique présentent plusieurs avantages: ils sont plus faciles et moins polluants à extraire que ceux de roche dure, et renferment des concentrations significatives d’éléments stratégiques essentiels comme le dysprosium ou le terbium, indispensables aux aimants haute performance et aux technologies de pointe.
Toutefois, deux obstacles majeurs freinent pour l’instant la capacité des États-Unis à sécuriser une source alternative. D’abord, la mine de Serra Verde demeure le seul site exploitable hors d’Asie capable de produire des terres rares lourdes à partir d’argile ionique. Malgré un investissement de 150 millions de dollars américains et britanniques, destiné à réduire la dépendance occidentale à la Chine, la production actuelle est déjà sous contrat avec Pékin, limitant la disponibilité pour les pays occidentaux.
Le second frein est d’ordre géopolitique: les relations tendues entre les présidents Donald Trump et Luiz Inácio Lula da Silva compliquent la coopération stratégique nécessaire pour développer pleinement ce gisement. Ces rivalités politiques pourraient ralentir ou compromettre les efforts occidentaux pour diversifier leurs chaînes d’approvisionnement en terres rares, essentielles à leur souveraineté technologique.
Le Brésil en quête de technologie
Dans ce contexte mondial tendu, le Brésil veut se positionner comme un acteur clé capable de répondre à la demande croissante en terres rares. Raul Jungmann, président de l’Institut minier brésilien, souligne qu’"avec une politique minière globale (de l’industrialisation à la logistique), nous pouvons surmonter les obstacles tels que les connaissances géologiques limitées et le faible financement". Il insiste aussi sur la nécessité de "partenariats avec d’autres pays pour les investissements et le transfert de technologies afin d’optimiser la production brésilienne".
Francisco Valdir Silveira, directeur du Service géologique du Brésil, rappelle à Rest of World que "dans les années 1990, le Brésil figurait parmi les pays les plus avancés dans la filière des terres rares". Selon lui, "le principal défi aujourd’hui n’est pas le manque de minerai, mais le manque de technologies intégrées". Il affirme que le pays a “la capacité d’accroître considérablement l’exploitation si nous investissons dans la recherche, en créant usines, emplois, universités, centres technologiques et en formant une main-d’œuvre qualifiée".
Mais le Brésil accuse toujours un retard stratégique. Fernando Landgraf, expert en minéraux et professeur à l’Université de São Paulo, explique: "nous sommes en retard dans un secteur désormais au cœur d’un conflit mondial, où la Chine ferme son marché et les États-Unis investissent massivement chez eux". Il conclut qu’"il serait très intéressant que les États-Unis investissent dans une coentreprise de raffinage des terres rares au Brésil, pour y ajouter de la valeur".
Un moyen de peser sur les négociations tarifaires
Le Brésil cherche depuis des décennies à développer une stratégie autour des minéraux critiques, mais avec peu de résultats. Une alliance stratégique avec les États-Unis pourrait relancer le secteur grâce à des coentreprises, accords d’approvisionnement et financements, une question qui sera au centre des discussions entre les ministres des Affaires étrangères avant la première rencontre bilatérale Trump-Lula.
Lula pourrait utiliser les terres rares comme levier pour obtenir la levée des lourds tarifs douaniers américains, tout en veillant à développer des capacités nationales de raffinage et de production d’aimants pour rassurer son Parti des travailleurs. Pour les États-Unis, tout approvisionnement alternatif qui limite la domination chinoise est stratégique, tandis que le Brésil pourrait enfin donner un véritable élan à son industrie des terres rares, encore quasi inexistante malgré d’importantes réserves.
https://www.bfmtv.com/tech/comment-le-b ... 40457.html
[quote][b][size=110] Comment le Brésil s'impose peu à peu comme une alternative à la Chine pour les terres rares[/size][/b]
Raphaël Raffray 04 nov 2025
Alors qu’une guerre commerciale oppose Pékin à Washington, les terres rares se retrouvent au cœur d’un bras de fer technologique. Le Brésil, qui en détient les deuxièmes plus grandes réserves mondiales, espère tirer son épingle du jeu. Mais son manque d’infrastructures de raffinage et de capacités technologiques continue de semer le doute sur sa faculté à réellement concurrencer la Chine.
A-t-on enfin trouvé le nouvel eldorado? Longtemps recherché par les explorateurs à travers toute l’Amérique du Sud, il ne s’agit pas d’or cette fois, mais bien de terres rares. Et leur gisement se trouverait au Brésil.
Alors que Pékin a annoncé de nouvelles restrictions sur l’exportation de terres rares, ces minéraux essentiels aux semi-conducteurs, smartphones, véhicules électriques et autres technologies stratégiques, les États-Unis se sont immédiatement tournés vers d’autres sources pour éviter toute perturbation de leurs chaînes industrielles. Et ce, malgré les récentes annonces qui ont quelque peu apaisé les tensions.
Avec près de 70 % de la production mondiale et 90 % du raffinage des terres rares, la Chine dispose d’un levier commercial et géopolitique majeur, confirmant son rôle de puissance incontournable dans ce domaine. Les terres rares se trouvent ainsi principalement en Chine, mais aussi en Australie, en Russie, en Inde, au Vietnam et également au Brésil. Cependant, leur exploitation ne dépend pas seulement de la géologie : elle repose également sur les investissements, les technologies et le cadre réglementaire.
[b]Des gisements stratégiques[/b]
"Quand on parle de réserves, il ne s’agit pas seulement de ce qui est présent dans le sol", explique Julie Michelle Klinger, professeure agrégée à l’Université du Delaware, à Rest of World. "On parle de ce qui est économiquement et politiquement viable à exploiter, ce qui dépend autant de la technologie et des financements que de la géologie". Aujourd’hui, les États-Unis importent environ 80 % de leurs besoins en terres rares depuis la Chine, la Malaisie et d’autres pays.
Le Brésil, qui possède les deuxièmes plus grandes réserves mondiales de terres rares, offre une alternative prometteuse aux approvisionnements asiatiques. Concentrés principalement dans l’État de Goiás, ses gisements d’argile ionique présentent plusieurs avantages: ils sont plus faciles et moins polluants à extraire que ceux de roche dure, et renferment des concentrations significatives d’éléments stratégiques essentiels comme le dysprosium ou le terbium, indispensables aux aimants haute performance et aux technologies de pointe.
Toutefois, deux obstacles majeurs freinent pour l’instant la capacité des États-Unis à sécuriser une source alternative. D’abord, la mine de Serra Verde demeure le seul site exploitable hors d’Asie capable de produire des terres rares lourdes à partir d’argile ionique. Malgré un investissement de 150 millions de dollars américains et britanniques, destiné à réduire la dépendance occidentale à la Chine, la production actuelle est déjà sous contrat avec Pékin, limitant la disponibilité pour les pays occidentaux.
Le second frein est d’ordre géopolitique: les relations tendues entre les présidents Donald Trump et Luiz Inácio Lula da Silva compliquent la coopération stratégique nécessaire pour développer pleinement ce gisement. Ces rivalités politiques pourraient ralentir ou compromettre les efforts occidentaux pour diversifier leurs chaînes d’approvisionnement en terres rares, essentielles à leur souveraineté technologique.
[b]Le Brésil en quête de technologie[/b]
Dans ce contexte mondial tendu, le Brésil veut se positionner comme un acteur clé capable de répondre à la demande croissante en terres rares. Raul Jungmann, président de l’Institut minier brésilien, souligne qu’"avec une politique minière globale (de l’industrialisation à la logistique), nous pouvons surmonter les obstacles tels que les connaissances géologiques limitées et le faible financement". Il insiste aussi sur la nécessité de "partenariats avec d’autres pays pour les investissements et le transfert de technologies afin d’optimiser la production brésilienne".
Francisco Valdir Silveira, directeur du Service géologique du Brésil, rappelle à Rest of World que "dans les années 1990, le Brésil figurait parmi les pays les plus avancés dans la filière des terres rares". Selon lui, "le principal défi aujourd’hui n’est pas le manque de minerai, mais le manque de technologies intégrées". Il affirme que le pays a “la capacité d’accroître considérablement l’exploitation si nous investissons dans la recherche, en créant usines, emplois, universités, centres technologiques et en formant une main-d’œuvre qualifiée".
Mais le Brésil accuse toujours un retard stratégique. Fernando Landgraf, expert en minéraux et professeur à l’Université de São Paulo, explique: "nous sommes en retard dans un secteur désormais au cœur d’un conflit mondial, où la Chine ferme son marché et les États-Unis investissent massivement chez eux". Il conclut qu’"il serait très intéressant que les États-Unis investissent dans une coentreprise de raffinage des terres rares au Brésil, pour y ajouter de la valeur".
[b]Un moyen de peser sur les négociations tarifaires[/b]
Le Brésil cherche depuis des décennies à développer une stratégie autour des minéraux critiques, mais avec peu de résultats. Une alliance stratégique avec les États-Unis pourrait relancer le secteur grâce à des coentreprises, accords d’approvisionnement et financements, une question qui sera au centre des discussions entre les ministres des Affaires étrangères avant la première rencontre bilatérale Trump-Lula.
Lula pourrait utiliser les terres rares comme levier pour obtenir la levée des lourds tarifs douaniers américains, tout en veillant à développer des capacités nationales de raffinage et de production d’aimants pour rassurer son Parti des travailleurs. Pour les États-Unis, tout approvisionnement alternatif qui limite la domination chinoise est stratégique, tandis que le Brésil pourrait enfin donner un véritable élan à son industrie des terres rares, encore quasi inexistante malgré d’importantes réserves.
[/quote]
https://www.bfmtv.com/tech/comment-le-bresil-s-impose-peu-a-peu-comme-une-alternative-a-la-chine-pour-les-terres-rares_AN-202511040457.html