par gte79 » 04 févr. 2007, 15:42
Une archive du monde diplomatique, qui date de 1998, mais n'en est pas moins très intéressante.
Les nouveaux acteurs du secteur minier africain
Les pays producteurs de diamants et de métaux rares en Afrique, parfois qualifiés de « scandales géologiques » en raison de l’énormité de leurs ressources, sont aussi, souvent, les moins développés : leurs dirigeants ont consacré plus d’énergie à s’assurer le contrôle de ces richesses qu’à tenter d’en faire profiter leurs citoyens. Les ressources minières ont été le nerf des guerres civiles en Angola, au Liberia, au Sierra Leone ou en République démocratique du Congo, pour le plus grand profit des opérateurs internationaux.
Par François Misser et Olivier ValléeDepuis la seconde guerre mondiale, le continent africain est un producteur essentiel de métaux stratégiques : le Congo belge avait assuré la livraison d’uranium aux Américains, tandis que les nazis rêvaient d’un axe ferroviaire entre Alger et le Niger, pour évacuer les minerais... La production de cobalt du continent couvre 40 % des besoins mondiaux et la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) détient à elle seule 50 % à 60 % des réserves connues dans le monde ; le deuxième producteur est la Zambie, qui pourrait être rejoint par l’Ouganda, après la mise en exploitation de la mine de Kasese.
L’Afrique assure aussi la livraison de la moitié, en volume, du diamant mondial. Les grands producteurs sont la République démocratique du Congo, le Botswana et l’Afrique du Sud. Selon le Bureau américain des mines, 90 % des réserves de métaux du groupe du platine (platine, palladium, rhodium, ruthénium, iridium et osmium) sont situés en Afrique du Sud. Le Zimbabwe en est également producteur ; d’autres pays, comme le Burundi, l’Ethiopie, le Sierra Leone ou le Kenya détiennent des réserves connues ou probables.
Jusqu’au début des années 80, cette importante source de minerais stratégiques fut un élément-clé de la politique américaine et européenne à l’égard du continent africain. Les interventions militaires, lors de la sécession du Katanga en 1960 (1), ou des deux « guerres du Shaba » à la fin des années 70, comme le soutien - occulté - à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, permettaient aux militaires et aux gestionnaires de la sécurité industrielle de l’Occident de faire cause commune pour « sauver la route du Cap » et éviter que le coffre-fort minéral du monde libre ne tombe aux mains des « rouges ».
Le marché des minerais non énergétiques est cependant resté faible en valeur, dans les échanges mondiaux, par rapport à celui des hydrocarbures, si l’on excepte le commerce de la bauxite (2). Cette stagnation en volume, ainsi que les fluctuations des prix ont touché particulièrement le continent africain.
Au Congo, les industries, implantées depuis longtemps par de grandes sociétés - I’Union minière du Haut-Katanga exploite le cuivre depuis 1906 et le cobalt depuis 1924 -, ont souffert du manque d’investissement, après que leur nationalisation les eut transformées en source de profit pour les proches de Mobutu. De 1988 à 1993, la production de cuivre est passée de 465 000 à 48 400 tonnes, celle du zinc de 47 300 à 4 200 tonnes, le cobalt de 10 000 à 2 400 tonnes... Seul le diamant a fait exception, avec une production fluctuant entre 13 et 18 millions de carats.
Ces statistiques du diamant, souvent approximatives, la production et la commercialisation « informelles », ainsi que le transit par des pays de complaisance, ont contribué à brouiller l’image d’un secteur dont on ne connaît pas exactement le montant réel des échanges. La contrebande et les détournements, qui touchent l’ensemble de l’Afrique diamantifère, ont fini par s’étendre à d’autres minerais comme le cobalt, l’or, ou le cuivre, qui - au Congo comme ailleurs - ont été pillés, vendus à des traders extérieurs, et expédiés vers le reste du monde.
Le président Mobutu Sese Seko avait privatisé une grande partie du sous-sol de son pays, après avoir monopolisé la rente du secteur industriel minier. Il y a eu ainsi conjonction entre un marché mondial peu porteur pour les productions minières africaines, et la désagrégation des cadres institutionnels et industriels de la production, sur un continent qui s’enfoncait dans la crise politique et économique.
Ainsi, à côté d’un marché minier stagnant pour l’Afrique, une série d’enclaves d’extraction du diamant ont suscité, depuis la fin des années 80, l’intérêt de nouveaux opérateurs, et encouragé une vaste économie informelle, sous forme d’exploitation artisanale, qui a concurrencé la production industrielle. Les monopoles de la centrale du diamant du conglomérat De Beers, ainsi que de plusieurs filières publiques d’exportation des Etats africains, ont été remis en cause, puis contournés par des circuits de fraude, afin d’échapper à la fiscalité et au contrôle des changes.
L’incrustation, à travers le diamant, de cette logique de rente dans des pays ravagés par la misère, les conflits et la corruption, a facilité l’irruption d’acteurs qui empruntent leurs méthodes, leurs marchés et leurs ambitions aux mafias internationales, aux intérêts géopolitiques et au recyclage de l’argent sale. La fraude du diamant se compte en millions de dollars et la vente des pierres est devenue le deuxième poste à l’exportation de l’Afrique, après le pétrole.
Cette manne, qui échappe au contrôle des groupes internationaux à la différence de la filière pétrolière, a aiguisé les appétits des parties en guerre au Liberia, au Sierra Leone ou en Angola. Les artisans africains de l’extraction, les « creuseurs » et les acheteurs de diamants de tous pays ont été les relais ou les complices de ces affrontements politiques et armés. Les quelques pans industriels de l’activité minière qui subsistaient dans ces pays ont souvent fait appel aux mercenaires ou à des forces paramilitaires comme la Société minière de Bakwanga (MIBA).
Les Etats se sont associés aux aventuriers. Et les méandres des filières de fraude ont embrasé une bonne partie du continent africain, dans des conflits dits de « faible intensité » ou des guerres civiles meurtrières.
La militarisation de l’activité économique
Pour de nombreux groupes miniers, qui voient dans la dégradation des monopoles publics autant de brèches attirantes, ce modèle de la traite minière dérivé du diamant a servi de leçon. La reprise de l’économie mondiale à partir du milieu des années 90, et la stabilité des cours du pétrole ont ravivé l’intérêt et la capacité d’investissement pour les autres minerais dont l’Afrique regorge, de l’or classique au niobium, en passant par le magnésium.
L’ex-Zaïre donne un avant- goût des nouvelles stratégies minières dans une Afrique incertaine, entre transition démocratique et libéralisation économique. Le Congo « démocratique » dispose des deux tiers des réserves mondiales de cobalt, du dixième du cuivre, du tiers du diamant, ainsi que d’un potentiel appréciable d’or, d’uranium et de manganèse.
Quelques figures illustrent les positions des acteurs miniers, comme celle de M. Maurice Templesman, un ami du maréchal Mobutu, qui aura brassé cuivre et diamant, y mêlant la politique internationale : il avait su persuader l’ex-président démocrate américain M. James Carter que le meilleur gardien du trésor congolais - bien qu’aussi son voleur - restait bien le maréchal Mobutu. La CIA avait alors son principal bureau africain à Kinshasa : ses agents, héritiers de la lutte contre l’ancien premier ministre nationaliste Patrice Lumumba (3), représentaient des acolytes des diamantaires pour leurs opérations d’extraction et d’exfiltration.
Cette gestion des mines selon le modèle rentier a contribué à ruiner le secteur industriel, et à étendre la crise dans tous les secteurs, devenant - bien plus que La Baule (4) - le ferment de la contestation des régimes autocratiques que Paris et Washington avaient si longtemps couvés.
Avec la transition démocratique de 1991, les généraux zaïrois s’étaient reconvertis eux aussi dans la chasse au diamant, boudant leurs missions de répression. S’affranchissant peu à peu de la tutelle politique et financière du maréchal, ils étaient devenus autant de « seigneurs des carrières », en cheville avec des escrocs et des faussaires, mais à l’abri de toute sanction.
D’une dictature de fer, l’ex-Zaïre était passé peu à peu à une oligarchie régionalisée et privatisée (5), qui ne disposait plus du ressort nécessaire pour résister à l’avancée de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par M. Laurent-Désiré Kabila : ce groupement, outre qu’il disposait d’un véritable sanctuaire au Kivu, baignait dans le contexte de la nouvelle économie minière zaïroise décentralisée, devenue l’« affaire de chacun », dans un monde de paupérisation où les « cailloux » représentaient l’unique espoir de ne pas mourir de faim. M. Maurice Templesman n’a pu cependant contrarier le nouveau cycle politique que Washington voyait se dessiner, avec de nouveaux responsables comme l’Ougandais Yoweri Museveni ou le Rwandais Paul Kagamé.
Le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir en Angola, confronté lui-même dans sa région riche en diamants, le Lunda Norte, à la résistance de M. Jonas Savimbi - qui mène, à travers l’Union nationale pour l’unité de l’Angola (Unita), une lutte sans merci contre Luanda grâce aux ressources minières extraites par ses soins et exportées par avions entiers - a été conduit à aider l’AFDL de M. Laurent-Désiré Kabila dans la conquête du Shaba, une des grandes provinces minières de l’ex-Zaïre : afin de fermer une des voies de sortie des diamants du Lunda Norte.
Grâce aux richesses minérales des régions dont elle prenait le contrôle, l’AFDL put trouver les munitions nécessaires à sa guerre de libération. Elle se donna du même coup des alliés provisoires et surprenants, comme le colonel belge Willy Mallants, l’un des plus importants propriétaires de la Société congolaise minière du Kivu, qui exploite l’or du Maniéma (6), frère d’armes de certains des militaires belges ayant participé à la mise à mort de Patrice Lumumba comme à la mise en orbite du maréchal Mobutu.
D’autres hommes - et d’autres pratiques - se placent dans le fil de la mutation minière qui accompagne la transformation politique du continent, comme M. Jean-Raymond Boulle. Né à l’île Maurice, il fut le plus jeune directeur général de la compagnie De Beers dans l’ex-Zaïre, puis se lança dans la vente à grande échelle de diamants au Texas, et fonda en 1992 Diamonds Fields Ressources, qu’il revendit en 1996 au canadien Inco, après avoir coté en Bourse un gigantesque gisement de nickel et de cobalt. En 1995, il a fondé American Mineral Fields dont l’objectif déclaré est de permettre aux investisseurs américains de participer à la mise en valeur du sous-sol africain.
Le projet de M. Jean-Raymond Boulle est de réactiver la mine de Kapushi, propriété de la Générale des carrières et des mines (Gécamines), compagnie d’Etat qui produisait jusqu’en 1988 plus de 100 000 tonnes de zinc et de 50 000 tonnes de cuivre. Il pense pouvoir revenir à ces niveaux rapidement, avec un investissement de 50 millions de dollars, en joint venture (entreprise à capitaux mixtes) avec la Gécamines. Mais l’« homme aux mains de diamant » a aussi un accord de partenariat avec l’Anglo-American Corporation of South Africa, le géant de l’or, qui financerait les 100 premiers millions de dollars de tout investissement réalisé conjointement au Shaba. Il a également un accord d’association pour le diamant avec IDAS-Ressources, une société belgo-néerlandaise qui a pour raison sociale l’enlèvement des mines antipersonnelles, mais qui est désormais détentrice de concessions diamantifères de la taille de la Suisse dans la zone de la rivière Cuango, en Angola.
Le groupe minier de type nouveau est donc une architecture financière passant par les Bourses nord-américaines, surtout Vancouver et Toronto, qui contracte parfois des alliances avec des conglomérats comme De Beers, et avance aux côtés de nouveaux responsables politiques comme MM. Kabila ou Museveni, à l’aide de mercenaires dotés d’équipements dignes de petites armées modernes. Il y a chez certains de ces acteurs de la mine africaine un peu de la junior company (une société peu capitalisée, qui joue son avenir boursier et technique sur un pari) ; et beaucoup de militarisation de l’activité économique, dans la capture de territoires miniers.
La constellation formée autour des célèbres « Executive Outcomes » (7) incarne le mieux le retour à une politique privée de la canonnière : ses hommes sont intervenus, de l’Angola en 1993 au Sierra Leone en 1997, pour lutter contre les forces rebelles, surtout quand elles menaçaient les richesses minérales. Les hommes de MM. Anthony Buckingham et Eben Barlow, les deux porte-étendard de cette société de prestations paramilitaires, ne cherchent pas à planter le drapeau d’un pays : leur prime de guerre se paie en droits d’exploitation de gisements, confiés à leurs sociétés spécialisées, comme Branch Energy, Branch Mining ou Heritage.
M. Salim Saleh, demi-frère du président Yoweri Museveni, détiendrait des participations dans Branch Mining, qui exploite en partenariat une mine d’or dans le parc national de Kidepo, en Ouganda. Il posséderait aussi 45 % de Saracen Ouganda, qui assure la sécurité des mines d’or et des opérations armées contre les rebelles ougandais. Ainsi se tissent, selon un écheveau serré, des relations entre mines et sécurité, diamant et bauxite, Bourses de Vancouver et intérêts basés à Bangkok ou à Tel Aviv. On y retrouve la plupart des protagonistes de cette nouvelle ruée vers les minerais stratégiques, du Sierra Leone à l’Ouganda, dont certains possèdent également des permis en Afrique sahélienne, au Mali ou au Niger.
En l’absence de nouveaux opérateurs français dans les zones francophones, un des pivots de la présence française dans le domaine minier reste la MIBA, la plus grosse unité industrielle d’extraction de diamants du Congo démocratique, dont le Crédit agricole mutuel se retrouve le principal actionnaire, par prises de contrôle successives de groupes financiers belges et français.
Le Congo démocratique semble, après avoir eu comme « compagnons de lutte » des groupes junior comme ceux de M. Jean-Raymond Boulle, se tourner à nouveau vers les « valeurs sûres » de l’industrie minière. A la fin décembre 1997, M. Laurent-Désiré Kabila a annulé les gigantesques contrats concernant les projets avec l’American Mineral Fields International (AMFI), et Lundin, un magnat suédois intéressé par les dépôts de cuivre et de cobalt de Tenke Fungurume. Pour prendre la suite, la Gécamines va créer un consortium avec Anglo-American, Billiton, Iscor, l’Union minière et la Compagnie chinoise des métaux non ferreux pour le développement de Kolwezi-Ouest, qui renferme les quatre cinquièmes des réserves de cuivre et de cobalt de la Gécamines.
La reconnaissance du poids des grandes forces du secteur minier dans la « nouvelle Afrique » tient à plusieurs facteurs : les junior companies, y compris les paramilitaires, si elles peuvent mieux gérer le risque politique minier africain, sont incapables de supporter le coût financier et le risque technique de gisements immenses et complexes ; la privatisation, qui a été un des éléments par lesquels les pouvoirs africains ont pu ouvrir les vannes de la dérégulation des mines, est de nouveau sous le contrôle plus étroit de la Banque mondiale, qui n’aime pas beaucoup les juniors ; enfin, les intérêts miniers américains sont regardés avec méfiance, tant pour des raisons historiques que financières et politiques.
Mais la marge est étroite, pour des Etats africains désireux que la mise en valeur des ressources minérales - fer des monts Nimba au Liberia ou magnésium au Congo-Brazzaville -, ouvrent de nouvelles perspectives : un développement échappant au pillage et à l’engrenage des guerres civiles pour la conquête des dernières richesses naturelles d’économies dévastées.
Une archive du monde diplomatique, qui date de 1998, mais n'en est pas moins très intéressante.
[b]Les nouveaux acteurs du secteur minier africain[/b]
Les pays producteurs de diamants et de métaux rares en Afrique, parfois qualifiés de « scandales géologiques » en raison de l’énormité de leurs ressources, sont aussi, souvent, les moins développés : leurs dirigeants ont consacré plus d’énergie à s’assurer le contrôle de ces richesses qu’à tenter d’en faire profiter leurs citoyens. Les ressources minières ont été le nerf des guerres civiles en Angola, au Liberia, au Sierra Leone ou en République démocratique du Congo, pour le plus grand profit des opérateurs internationaux.
Par François Misser et Olivier ValléeDepuis la seconde guerre mondiale, le continent africain est un producteur essentiel de métaux stratégiques : le Congo belge avait assuré la livraison d’uranium aux Américains, tandis que les nazis rêvaient d’un axe ferroviaire entre Alger et le Niger, pour évacuer les minerais... La production de cobalt du continent couvre 40 % des besoins mondiaux et la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) détient à elle seule 50 % à 60 % des réserves connues dans le monde ; le deuxième producteur est la Zambie, qui pourrait être rejoint par l’Ouganda, après la mise en exploitation de la mine de Kasese.
L’Afrique assure aussi la livraison de la moitié, en volume, du diamant mondial. Les grands producteurs sont la République démocratique du Congo, le Botswana et l’Afrique du Sud. Selon le Bureau américain des mines, 90 % des réserves de métaux du groupe du platine (platine, palladium, rhodium, ruthénium, iridium et osmium) sont situés en Afrique du Sud. Le Zimbabwe en est également producteur ; d’autres pays, comme le Burundi, l’Ethiopie, le Sierra Leone ou le Kenya détiennent des réserves connues ou probables.
Jusqu’au début des années 80, cette importante source de minerais stratégiques fut un élément-clé de la politique américaine et européenne à l’égard du continent africain. Les interventions militaires, lors de la sécession du Katanga en 1960 (1), ou des deux « guerres du Shaba » à la fin des années 70, comme le soutien - occulté - à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, permettaient aux militaires et aux gestionnaires de la sécurité industrielle de l’Occident de faire cause commune pour « sauver la route du Cap » et éviter que le coffre-fort minéral du monde libre ne tombe aux mains des « rouges ».
Le marché des minerais non énergétiques est cependant resté faible en valeur, dans les échanges mondiaux, par rapport à celui des hydrocarbures, si l’on excepte le commerce de la bauxite (2). Cette stagnation en volume, ainsi que les fluctuations des prix ont touché particulièrement le continent africain.
Au Congo, les industries, implantées depuis longtemps par de grandes sociétés - I’Union minière du Haut-Katanga exploite le cuivre depuis 1906 et le cobalt depuis 1924 -, ont souffert du manque d’investissement, après que leur nationalisation les eut transformées en source de profit pour les proches de Mobutu. De 1988 à 1993, la production de cuivre est passée de 465 000 à 48 400 tonnes, celle du zinc de 47 300 à 4 200 tonnes, le cobalt de 10 000 à 2 400 tonnes... Seul le diamant a fait exception, avec une production fluctuant entre 13 et 18 millions de carats.
Ces statistiques du diamant, souvent approximatives, la production et la commercialisation « informelles », ainsi que le transit par des pays de complaisance, ont contribué à brouiller l’image d’un secteur dont on ne connaît pas exactement le montant réel des échanges. La contrebande et les détournements, qui touchent l’ensemble de l’Afrique diamantifère, ont fini par s’étendre à d’autres minerais comme le cobalt, l’or, ou le cuivre, qui - au Congo comme ailleurs - ont été pillés, vendus à des traders extérieurs, et expédiés vers le reste du monde.
Le président Mobutu Sese Seko avait privatisé une grande partie du sous-sol de son pays, après avoir monopolisé la rente du secteur industriel minier. Il y a eu ainsi conjonction entre un marché mondial peu porteur pour les productions minières africaines, et la désagrégation des cadres institutionnels et industriels de la production, sur un continent qui s’enfoncait dans la crise politique et économique.
Ainsi, à côté d’un marché minier stagnant pour l’Afrique, une série d’enclaves d’extraction du diamant ont suscité, depuis la fin des années 80, l’intérêt de nouveaux opérateurs, et encouragé une vaste économie informelle, sous forme d’exploitation artisanale, qui a concurrencé la production industrielle. Les monopoles de la centrale du diamant du conglomérat De Beers, ainsi que de plusieurs filières publiques d’exportation des Etats africains, ont été remis en cause, puis contournés par des circuits de fraude, afin d’échapper à la fiscalité et au contrôle des changes.
L’incrustation, à travers le diamant, de cette logique de rente dans des pays ravagés par la misère, les conflits et la corruption, a facilité l’irruption d’acteurs qui empruntent leurs méthodes, leurs marchés et leurs ambitions aux mafias internationales, aux intérêts géopolitiques et au recyclage de l’argent sale. La fraude du diamant se compte en millions de dollars et la vente des pierres est devenue le deuxième poste à l’exportation de l’Afrique, après le pétrole.
Cette manne, qui échappe au contrôle des groupes internationaux à la différence de la filière pétrolière, a aiguisé les appétits des parties en guerre au Liberia, au Sierra Leone ou en Angola. Les artisans africains de l’extraction, les « creuseurs » et les acheteurs de diamants de tous pays ont été les relais ou les complices de ces affrontements politiques et armés. Les quelques pans industriels de l’activité minière qui subsistaient dans ces pays ont souvent fait appel aux mercenaires ou à des forces paramilitaires comme la Société minière de Bakwanga (MIBA).
Les Etats se sont associés aux aventuriers. Et les méandres des filières de fraude ont embrasé une bonne partie du continent africain, dans des conflits dits de « faible intensité » ou des guerres civiles meurtrières.
La militarisation de l’activité économique
Pour de nombreux groupes miniers, qui voient dans la dégradation des monopoles publics autant de brèches attirantes, ce modèle de la traite minière dérivé du diamant a servi de leçon. La reprise de l’économie mondiale à partir du milieu des années 90, et la stabilité des cours du pétrole ont ravivé l’intérêt et la capacité d’investissement pour les autres minerais dont l’Afrique regorge, de l’or classique au niobium, en passant par le magnésium.
L’ex-Zaïre donne un avant- goût des nouvelles stratégies minières dans une Afrique incertaine, entre transition démocratique et libéralisation économique. Le Congo « démocratique » dispose des deux tiers des réserves mondiales de cobalt, du dixième du cuivre, du tiers du diamant, ainsi que d’un potentiel appréciable d’or, d’uranium et de manganèse.
Quelques figures illustrent les positions des acteurs miniers, comme celle de M. Maurice Templesman, un ami du maréchal Mobutu, qui aura brassé cuivre et diamant, y mêlant la politique internationale : il avait su persuader l’ex-président démocrate américain M. James Carter que le meilleur gardien du trésor congolais - bien qu’aussi son voleur - restait bien le maréchal Mobutu. La CIA avait alors son principal bureau africain à Kinshasa : ses agents, héritiers de la lutte contre l’ancien premier ministre nationaliste Patrice Lumumba (3), représentaient des acolytes des diamantaires pour leurs opérations d’extraction et d’exfiltration.
Cette gestion des mines selon le modèle rentier a contribué à ruiner le secteur industriel, et à étendre la crise dans tous les secteurs, devenant - bien plus que La Baule (4) - le ferment de la contestation des régimes autocratiques que Paris et Washington avaient si longtemps couvés.
Avec la transition démocratique de 1991, les généraux zaïrois s’étaient reconvertis eux aussi dans la chasse au diamant, boudant leurs missions de répression. S’affranchissant peu à peu de la tutelle politique et financière du maréchal, ils étaient devenus autant de « seigneurs des carrières », en cheville avec des escrocs et des faussaires, mais à l’abri de toute sanction.
D’une dictature de fer, l’ex-Zaïre était passé peu à peu à une oligarchie régionalisée et privatisée (5), qui ne disposait plus du ressort nécessaire pour résister à l’avancée de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par M. Laurent-Désiré Kabila : ce groupement, outre qu’il disposait d’un véritable sanctuaire au Kivu, baignait dans le contexte de la nouvelle économie minière zaïroise décentralisée, devenue l’« affaire de chacun », dans un monde de paupérisation où les « cailloux » représentaient l’unique espoir de ne pas mourir de faim. M. Maurice Templesman n’a pu cependant contrarier le nouveau cycle politique que Washington voyait se dessiner, avec de nouveaux responsables comme l’Ougandais Yoweri Museveni ou le Rwandais Paul Kagamé.
Le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir en Angola, confronté lui-même dans sa région riche en diamants, le Lunda Norte, à la résistance de M. Jonas Savimbi - qui mène, à travers l’Union nationale pour l’unité de l’Angola (Unita), une lutte sans merci contre Luanda grâce aux ressources minières extraites par ses soins et exportées par avions entiers - a été conduit à aider l’AFDL de M. Laurent-Désiré Kabila dans la conquête du Shaba, une des grandes provinces minières de l’ex-Zaïre : afin de fermer une des voies de sortie des diamants du Lunda Norte.
Grâce aux richesses minérales des régions dont elle prenait le contrôle, l’AFDL put trouver les munitions nécessaires à sa guerre de libération. Elle se donna du même coup des alliés provisoires et surprenants, comme le colonel belge Willy Mallants, l’un des plus importants propriétaires de la Société congolaise minière du Kivu, qui exploite l’or du Maniéma (6), frère d’armes de certains des militaires belges ayant participé à la mise à mort de Patrice Lumumba comme à la mise en orbite du maréchal Mobutu.
D’autres hommes - et d’autres pratiques - se placent dans le fil de la mutation minière qui accompagne la transformation politique du continent, comme M. Jean-Raymond Boulle. Né à l’île Maurice, il fut le plus jeune directeur général de la compagnie De Beers dans l’ex-Zaïre, puis se lança dans la vente à grande échelle de diamants au Texas, et fonda en 1992 Diamonds Fields Ressources, qu’il revendit en 1996 au canadien Inco, après avoir coté en Bourse un gigantesque gisement de nickel et de cobalt. En 1995, il a fondé American Mineral Fields dont l’objectif déclaré est de permettre aux investisseurs américains de participer à la mise en valeur du sous-sol africain.
Le projet de M. Jean-Raymond Boulle est de réactiver la mine de Kapushi, propriété de la Générale des carrières et des mines (Gécamines), compagnie d’Etat qui produisait jusqu’en 1988 plus de 100 000 tonnes de zinc et de 50 000 tonnes de cuivre. Il pense pouvoir revenir à ces niveaux rapidement, avec un investissement de 50 millions de dollars, en joint venture (entreprise à capitaux mixtes) avec la Gécamines. Mais l’« homme aux mains de diamant » a aussi un accord de partenariat avec l’Anglo-American Corporation of South Africa, le géant de l’or, qui financerait les 100 premiers millions de dollars de tout investissement réalisé conjointement au Shaba. Il a également un accord d’association pour le diamant avec IDAS-Ressources, une société belgo-néerlandaise qui a pour raison sociale l’enlèvement des mines antipersonnelles, mais qui est désormais détentrice de concessions diamantifères de la taille de la Suisse dans la zone de la rivière Cuango, en Angola.
Le groupe minier de type nouveau est donc une architecture financière passant par les Bourses nord-américaines, surtout Vancouver et Toronto, qui contracte parfois des alliances avec des conglomérats comme De Beers, et avance aux côtés de nouveaux responsables politiques comme MM. Kabila ou Museveni, à l’aide de mercenaires dotés d’équipements dignes de petites armées modernes. Il y a chez certains de ces acteurs de la mine africaine un peu de la junior company (une société peu capitalisée, qui joue son avenir boursier et technique sur un pari) ; et beaucoup de militarisation de l’activité économique, dans la capture de territoires miniers.
La constellation formée autour des célèbres « Executive Outcomes » (7) incarne le mieux le retour à une politique privée de la canonnière : ses hommes sont intervenus, de l’Angola en 1993 au Sierra Leone en 1997, pour lutter contre les forces rebelles, surtout quand elles menaçaient les richesses minérales. Les hommes de MM. Anthony Buckingham et Eben Barlow, les deux porte-étendard de cette société de prestations paramilitaires, ne cherchent pas à planter le drapeau d’un pays : leur prime de guerre se paie en droits d’exploitation de gisements, confiés à leurs sociétés spécialisées, comme Branch Energy, Branch Mining ou Heritage.
M. Salim Saleh, demi-frère du président Yoweri Museveni, détiendrait des participations dans Branch Mining, qui exploite en partenariat une mine d’or dans le parc national de Kidepo, en Ouganda. Il posséderait aussi 45 % de Saracen Ouganda, qui assure la sécurité des mines d’or et des opérations armées contre les rebelles ougandais. Ainsi se tissent, selon un écheveau serré, des relations entre mines et sécurité, diamant et bauxite, Bourses de Vancouver et intérêts basés à Bangkok ou à Tel Aviv. On y retrouve la plupart des protagonistes de cette nouvelle ruée vers les minerais stratégiques, du Sierra Leone à l’Ouganda, dont certains possèdent également des permis en Afrique sahélienne, au Mali ou au Niger.
En l’absence de nouveaux opérateurs français dans les zones francophones, un des pivots de la présence française dans le domaine minier reste la MIBA, la plus grosse unité industrielle d’extraction de diamants du Congo démocratique, dont le Crédit agricole mutuel se retrouve le principal actionnaire, par prises de contrôle successives de groupes financiers belges et français.
Le Congo démocratique semble, après avoir eu comme « compagnons de lutte » des groupes junior comme ceux de M. Jean-Raymond Boulle, se tourner à nouveau vers les « valeurs sûres » de l’industrie minière. A la fin décembre 1997, M. Laurent-Désiré Kabila a annulé les gigantesques contrats concernant les projets avec l’American Mineral Fields International (AMFI), et Lundin, un magnat suédois intéressé par les dépôts de cuivre et de cobalt de Tenke Fungurume. Pour prendre la suite, la Gécamines va créer un consortium avec Anglo-American, Billiton, Iscor, l’Union minière et la Compagnie chinoise des métaux non ferreux pour le développement de Kolwezi-Ouest, qui renferme les quatre cinquièmes des réserves de cuivre et de cobalt de la Gécamines.
La reconnaissance du poids des grandes forces du secteur minier dans la « nouvelle Afrique » tient à plusieurs facteurs : les junior companies, y compris les paramilitaires, si elles peuvent mieux gérer le risque politique minier africain, sont incapables de supporter le coût financier et le risque technique de gisements immenses et complexes ; la privatisation, qui a été un des éléments par lesquels les pouvoirs africains ont pu ouvrir les vannes de la dérégulation des mines, est de nouveau sous le contrôle plus étroit de la Banque mondiale, qui n’aime pas beaucoup les juniors ; enfin, les intérêts miniers américains sont regardés avec méfiance, tant pour des raisons historiques que financières et politiques.
Mais la marge est étroite, pour des Etats africains désireux que la mise en valeur des ressources minérales - fer des monts Nimba au Liberia ou magnésium au Congo-Brazzaville -, ouvrent de nouvelles perspectives : un développement échappant au pillage et à l’engrenage des guerres civiles pour la conquête des dernières richesses naturelles d’économies dévastées.