par mobar » 02 févr. 2024, 11:22
Dans « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie » (Seuil) l’historien des sciences et chercheur au CNRS Jean-Baptiste Fressoz montre cliniquement que la transition énergétique est une fable créée de toutes pièces par le capital, à l’origine du dérèglement climatique. Interview.
https://usbeketrica.com/fr/article/jean ... te-fressoz
En conclusion, vous écrivez « la transition est l’idéologie du capital au XXIème siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se trouve du bon côté de la lutte climatique ». Comment expliquer que cette fable de la transition, trop grosse pour être vraie, passe si facilement ?
Jean-Baptiste Fressoz
Par méconnaissance de l’histoire matérielle ! En réalité, tous les biens qui nous entourent dépendent des fossiles, le bois y compris. Et le bois demeure un ingrédient clé du monde moderne – pensez à la construction et à l’emballage. La grande question à se poser n’est pas celle de la transition, mais celle du niveau de production et de la répartition des biens. Cela implique de penser les inégalités et l’utilité sociale de ce que l’on produit. Y réfléchir sérieusement amène des questions radicales à l’échelle mondiale. La transition a ceci de commode qu’elle permet d’éviter d’y penser. Dès qu’on parle transition, on parle technologie, « solutions », innovations, investissements verts… Sans voir qu’une partie importante de l’économie mondiale ne sera pas décarbonnée d’ici 2050.
Puisqu’on nous serine que la transition va nous sauver et que vous montrez à quel point c’est peu probable, quelle tangente faut-il prendre pour échapper à la catastrophe ?
Jean-Baptiste Fressoz
Le livre n’offre aucune perspective émancipatrice, désolé ! Sur le sujet énergétique, il faut simplement faire preuve du réalisme technologique. Les énergies renouvelables sont intéressantes dans l’absolu, mais si c’est pour faire avancer des voitures qui pèsent deux tonnes et empruntent de nouvelles routes reliant des maisons remplies d’objets, ça ne change pas fondamenalement les termes du problème.
Il faut remettre les choses dans l’ordre : oui, il faut développer les renouvelables, mais aussi et surtout réfléchir aux choses inutiles, puis envisager la répartition et le partage des biens produits qui resteront carbonés. Malheureusement, et à cause de l’obsession de la transition, la décroissance reste sous-équipée intellectuellement. Dans le dernier scénario du groupe 3 du GIEC, l’hypothèse d’une baisse de la croissance économique n’est même pas envisagée parmi les 3000 et quelques scénarios étudiés ! Cela signifie que les économistes n’ont pas encore fait ce travail en amont. Ça donne à voir l’énormité des lacunes de la science et du débat public.
[quote]Dans « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie » (Seuil) l’historien des sciences et chercheur au CNRS Jean-Baptiste Fressoz montre cliniquement que la transition énergétique est une fable créée de toutes pièces par le capital, à l’origine du dérèglement climatique. Interview.[/quote]
https://usbeketrica.com/fr/article/jean-baptiste-fressoz
[quote]En conclusion, vous écrivez « la transition est l’idéologie du capital au XXIème siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se trouve du bon côté de la lutte climatique ». Comment expliquer que cette fable de la transition, trop grosse pour être vraie, passe si facilement ?
Jean-Baptiste Fressoz
Par méconnaissance de l’histoire matérielle ! En réalité, tous les biens qui nous entourent dépendent des fossiles, le bois y compris. Et le bois demeure un ingrédient clé du monde moderne – pensez à la construction et à l’emballage. La grande question à se poser n’est pas celle de la transition, mais celle du niveau de production et de la répartition des biens. Cela implique de penser les inégalités et l’utilité sociale de ce que l’on produit. Y réfléchir sérieusement amène des questions radicales à l’échelle mondiale. La transition a ceci de commode qu’elle permet d’éviter d’y penser. Dès qu’on parle transition, on parle technologie, « solutions », innovations, investissements verts… Sans voir qu’une partie importante de l’économie mondiale ne sera pas décarbonnée d’ici 2050.
Puisqu’on nous serine que la transition va nous sauver et que vous montrez à quel point c’est peu probable, quelle tangente faut-il prendre pour échapper à la catastrophe ?
Jean-Baptiste Fressoz
Le livre n’offre aucune perspective émancipatrice, désolé ! Sur le sujet énergétique, il faut simplement faire preuve du réalisme technologique. Les énergies renouvelables sont intéressantes dans l’absolu, mais si c’est pour faire avancer des voitures qui pèsent deux tonnes et empruntent de nouvelles routes reliant des maisons remplies d’objets, ça ne change pas fondamenalement les termes du problème.
Il faut remettre les choses dans l’ordre : oui, il faut développer les renouvelables, mais aussi et surtout réfléchir aux choses inutiles, puis envisager la répartition et le partage des biens produits qui resteront carbonés. Malheureusement, et à cause de l’obsession de la transition, la décroissance reste sous-équipée intellectuellement. Dans le dernier scénario du groupe 3 du GIEC, l’hypothèse d’une baisse de la croissance économique n’est même pas envisagée parmi les 3000 et quelques scénarios étudiés ! Cela signifie que les économistes n’ont pas encore fait ce travail en amont. Ça donne à voir l’énormité des lacunes de la science et du débat public.
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