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par lionstone » 09 sept. 2005, 11:02
Il n'y a pas de cagnotte fiscale pétrolière
PAR RÉMY PRUD'HOMME
[07 septembre 2005]
La hausse du prix du pétrole entraîne une hausse du prix des carburants à la pompe. La seconde hausse est bien moins importante que la première, à cause de deux tampons. Entre le prix du baril de pétrole et le coût de production du carburant, il y a le petit tampon des coûts de transport, de raffinage et de distribution qui n'ont guère de raisons d'augmenter. Surtout, entre le coût de production et le prix à la pompe, il y a le gros tampon des impôts, qui représentent 70% du prix de vente.
Les impôts, nous dit-on, vont augmenter avec les prix, générant ainsi une cagnotte pétrolière. Que faire de cette cagnotte est le feuilleton de l'été. L'empêcher de se remplir en réduisant les taxes, disent les uns (bizarrement, c'est la gauche, pas la droite, qui veut réduire les impôts). La redistribuer aux plus méritants, proposent les autres (curieusement c'est la droite, pas la gauche, qui propose d'augmenter la dépense). Pour prélever moins et distribuer plus nos politiciens ne sont jamais à court d'imagination, et ils sont même prêts à jouer à contre-emploi. Hélas, la triste réalité est qu'il n'y a pas de cagnotte fiscale pétrolière, et que la hausse des prix du pétrole va coûter à nos finances publiques bien plus qu'elle ne va leur rapporter.
Comment, dira-t-on, des taxes inchangées sur des carburants plus chers vont forcément rapporter davantage. Eh bien non, pour deux raisons. La première raison est que l'essentiel (92%) des taxes sur les carburants, la TIPP et la TVA sur TIPP, dépendent de la quantité des carburants consommés, et pas du tout de leur valeur. La seconde est que des carburants plus chers vont d'abord entraîner une diminution de la consommation de carburants. De combien, on ne le sait pas avec précision. Les estimations les plus vraisemblables (selon la compilation récente du Professeur Goodwin) sont qu'une augmentation du prix des carburants de 10% entraîne une diminution de la consommation de 2,5% dans le court terme, et de 6% dans le moyen terme (c'est ce qu'on appelle l'élasticité de la consommation par rapport au prix). Dans le court terme, les utilisateurs roulent un peu moins et/ou un peu moins vite. Dans le moyen et long terme, ils achètent des véhicules moins gourmands et/ou cherchent des emplois ou des fournisseurs plus proches de leur domicile.
La TIPP, à législation inchangée, va donc certainement diminuer, pas augmenter contrairement à ce qu'affirment un certain nombre de politiciens. La TVA sur TIPP va suivre évidemment le même chemin. Il n'y a que la TVA sur les coûts de production qui va augmenter. La question est de savoir si cette augmentation-ci est plus importante que ces diminutions-là. La réponse est que les deux vont à peu près s'équilibrer dans le court terme.
On a effectué le calcul en considérant une augmentation des coûts de production (reflétant donc l'augmentation du prix du pétrole importé) de 30%. Elle entraîne une augmentation des prix à la pompe de près de 11%. Avec une élasticité de- 2,5%, cela fait une diminution de la consommation de 2,7%. Qui entraîne une diminution de la TIPP et de la TVA sur TIPP du même pourcentage. L'augmentation des prix hors-taxes (+ 30%) sur une consommation légèrement réduite (- 2,7%) entraîne une augmentation de la TVA sur les coûts de production de 26%. Mais ces 26% d'augmentation s'appliquent à un impôt qui représente 8% du total des impôts sur les carburants, alors que les 2,7% de diminution s'appliquent à des impôts qui représentent 92% de ce même total. In fine, tout cela fait une stagnation des impôts collectés (précisément : une diminution de 0,4%).
Malheureusement, l'histoire ne s'arrête pas là. L'augmentation des dépenses de carburant des ménages va peser sur le budget des ménages, qui vont réduire leurs achats d'autres biens. La TVA correspondant à ces achats d'autres biens va elle aussi diminuer. Le déplacement des dépenses des ménages plus en carburants, moins en électroménager ou en disques va être à peu près neutre du point de vue de la TVA. Ce que l'Etat va gagner d'un côté en TVA, il va le perdre de l'autre en TVA. Il n'y aura donc rien pour compenser la perte sur la TIPP, qui s'élève à environ 700 millions d'euros (2,7% de la TIPP et de la TVA sur TIPP).
Pire, l'élasticité de la consommation de carburants augmente avec le temps. Elle est bien plus grande à moyen terme qu'à court terme. Dans 4 ou 5 ans (toutes choses égales par ailleurs) la demande de carburants, du fait de la hausse de 2005, aura diminué de 7 ou 8% et pas seulement de 2,7%. La TIPP (et la TVA sur TIPP) diminuera d'autant. Cela nous fait une perte fiscale de près de 2 milliards d'euros.
Il y a encore pire. Il est très probable que ces hausses pétrolières vont ralentir la croissance, et donc la production. On a parlé de 0,1 point de croissance. Cela ferait 1,6 milliard de production en moins, et donc avec un taux d'imposition de 45%, plus de 700 millions d'euros de prélèvements fiscaux en moins.
L'impact des hausses pétrolières sur les finances publiques est donc sérieusement négatif. Dans l'immédiat, ces hausses devraient entraîner une diminution des recettes fiscales d'environ 700 millions d'euros. A terme, cette diminution devrait approcher 2 milliards d'euros. Si l'on prend en compte l'impact négatif de ces hausses pétrolières sur l'économie, c'est peut-être un manque à gagner fiscal de près de 700 millions d'euros qu'il faut ajouter à ces trous. Non seulement il n'y a pas de cagnotte, mais il y a bel et bien une grosse anti-cagnotte.
On est loin des rêves politiciens sur des baisses supplémentaires ou des distributions additionnelles. Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées ! Nos Perrette peuvent bien se boucher les yeux et les oreilles. Elles seront rattrapées par la dure réalité.
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