Le candidat de l'UMP ment lorsqu'il annonce qu'il va faire baisser le cours de la monnaie européenne, alors qu'il n'en a pas les moyens.
Sarkozy attaque l'euro
Libération : vendredi 4 mai 2007
Si Nicolas Sarkozy est élu président de la République, c'est promis, il va faire baisser l'euro pour en faire une arme de croissance massive au service de l'Union.
Le candidat de l'UMP le martèle à longueur de meeting, l'euro «surévalué» explique en grande partie les problèmes économiques de la France. Le 6 mars, martial, il lançait : «Je proposerai à nos partenaires, si je suis élu, que la politique de surévaluation de l'euro qui est en train d'accentuer tous les problèmes d'Airbus et d'accélérer la désindustrialisation de l'Europe soit abandonnée.» Il poursuit : «Tous les grands pays du monde aujourd'hui cherchent à sous-évaluer leur monnaie. Pourquoi ce que font les Chinois, les Américains ou les Japonais nous ne pourrions pas le faire ? Il n'est pas fatal que l'euro soit la variable d'ajustement de toutes les monnaies du monde. Ce que fait la Réserve fédérale américaine pour le dollar, la Banque centrale européenne (BCE) peut très bien le faire aussi, en poussant l'euro à la baisse pour obtenir un cours de change plus raisonnable.» Dans son livre publié le 2 avril (1), il remet le couvert : «Il faudra [...] négocier un réajustement des parités de change avec les pays qui pratiquent délibérément le dumping monétaire en vendant leurs produits moins chers grâce à une monnaie dépréciée.» Il accuse même les autres grandes puissances de se livrer à une «politique de dévaluation compétitive», pas moins.
Le plus effarant est que ces affirmations n'aient donné lieu à aucun débat en France : seul François Bayrou les a réfutées. Tout se passe comme si ce que disait Sarkozy était une évidence.
Or il n'en est rien. La question qu'il faudrait poser au candidat de l'UMP est toute simple : comment compte-t-il s'y prendre ? Car le monde vit dans un système de change flottant depuis la fin de la convertibilité du dollar en or décrétée unilatéralement par les Etats-Unis en 1971 (sauf la Chine dont l'économie est encore très largement contrôlée par l'Etat). Cela signifie que ce sont les marchés financiers qui déterminent librement la valeur des monnaies entre elles en investissant ici ou là en fonction de ce que cela peut leur rapporter. Les moyens pour peser sur les marchés sont extrêmement limités. D'abord, les banquiers centraux et/ou les gouvernements peuvent faire des déclarations indiquant qu'ils estiment que la hausse de telle monnaie a été trop loin. Ensuite, les taux d'intérêt fixés par les banques centrales influent sur les décisions d'investissement. Enfin, les banques centrales peuvent intervenir sur les marchés lorsqu'elles estiment qu'ils font n'importe quoi.
Ces trois armes ont une efficacité extrêmement limitée : la parole des gouvernements peut ne pas être entendue si elle ne reflète pas la réalité économique. Les réserves des banques centrales de la zone euro ne dépassent pas 150 milliards d'euros, alors que plus de 3 500 milliards d'euros circulent chaque jour sur les marchés financiers, et encore s'agit-il uniquement des dépôts des non-résidents européens. Autrement dit, il ne faut pas se tromper lorsqu'on intervient : il ne peut s'agir que d'un signal, rien d'autre, et le fusil de la BCE est à un seul coup. De même, les taux d'intérêt ne semblent plus être déterminants. Pour rappel, le taux directeur de la BCE est actuellement de 3,75 %, alors que celui de la Réserve fédérale est de 5,25 %. Le différentiel de taux étant en faveur du billet vert, celui-ci devrait grimper. Or, c'est l'inverse qui se passe.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les investisseurs sont de plus en plus inquiets des déséquilibres de l'économie américaine. Outre les déficits commerciaux et la balance des paiements courants, ils craignent un crash immobilier qui pourrait se traduire par un ralentissement de l'économie locale. De ce point de vue, l'économie européenne leur apparaît infiniment plus saine. Autrement dit, il n'y a pas de «politique de l'euro fort», mais un simple jeu du marché. C'est pour cela que, pour l'instant, la BCE n'intervient pas. Elle sait que cela ne servirait à rien. Et pour l'obliger à agir, il faudrait mettre fin à son indépendance : réunir l'unanimité des 27 Etats membres sur ce point relève du doux rêve...
Dernier point : l'euro a vocation à devenir une monnaie de réserve internationale. Autrement dit, les banques centrales du monde entier vont acheter de plus en plus d'euros, ce qui va contribuer à le faire grimper. Alors que les économies américaines et européennes sont de tailles équivalentes, les réserves en dollars représentent encore 60 %, alors que celles en euros ne sont que de 20 %. Faut-il s'en plaindre ? Evidemment pas : les Etats-Unis ont joui depuis soixante ans d'une rente de situation incroyable grâce au fait que le dollar était une monnaie de réserve, et l'euro a été créé pour lui faire la nique.
Les gesticulations du candidat Sarkozy sidèrent d'autant plus les partenaires de la France que l'histoire monétaire montre que l'euro a longtemps été sous-évalué. Depuis janvier 1999, date de son introduction (à 1,17 dollar), il n'a cessé de baisser pour atteindre son cours le plus bas en septembre 2000, à 0,82 dollar. Il ne reviendra à parité avec le billet vert qu'en juillet 2002 et ne retrouvera son cours de lancement qu'en mai 2003. Il fluctue depuis le dernier trimestre 2004 dans une fourchette comprise entre 1,25 et 1,35 dollar (soit + 15 % par rapport à son cours de lancement). En outre, lorsqu'on compare l'euro au panier de devises avec lesquelles la zone euro commerce, sa progression est bien moindre que cela. Au passage, rappelons que la balance commerciale de la France s'est améliorée vis-à-vis des Etats-Unis depuis 2000 (+ 60 %) alors qu'elle s'est dégradée vis-à-vis de l'Allemagne, qui a pourtant la même monnaie qu'elle...
Autant dire que les sorties de Nicolas Sarkozy n'ont monétairement aucun sens, sauf à sortir de l'euro, ce qu'il ne propose pas. Elles ne concourent qu'à saper la confiance des Français dans leur monnaie. Or quel est le premier moteur de la croissance ? La confiance, justement.