Je reproduis ci-dessous (avec l'autorisation de l'auteur) une reflextion tirée de la lettre d'information de la Chronique Agora:
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RETOUR A LA REALITE, 1ère PARTIE
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Par Puru Saxena (*)
L'ouragan Katrina a dévasté le Golfe du Mexique, à la suite de quoi les prix du pétrole ont atteint un nouveau record de 70 $ le baril.
Au cours des sept dernières années, les prix du brut ont été multipliés quasiment par 7 ! En décembre 1998, le brut s'échangeait à environ 10,5 $ le baril et a récemment enregistré un sommet historique à plus de 70 $ le baril.
Ce qui est amusant, cependant, c'est que durant toute cette considérable avancée, la majorité des analystes, des politiciens et des officiels de l'OPEP ont déclaré les uns après les autres que le sommet était atteint -- ils ont tous eu tort.
Parallèlement, cependant, le pétrole a continué à grimper. Le problème, c'est que le prix du pétrole est dicté non par des officiels, mais par l'offre et la demande. C'est cette dynamique qui semble indiquer désormais un prix du pétrole significativement plus élevé.
La dernière fois que les prix du brut sont montés en flèche, c'était dans les années 70. Fin 1973, la situation politique était instable au Moyen-Orient, et cela a provoqué un embargo pétrolier imposé par l'OPEP. S'est ensuivie la hausse des prix du pétrole, de 2 $ le baril plus tôt dans l'année à plus de 10 $ le baril en décembre 1973. La crise pétrolière a laissé le monde sur le flanc, et les Etats-Unis furent pris au dépourvu. La révolution iranienne de 1980, lorsque la production pétrolière iranienne cessa, suivit cet événement. A cause de cette perturbation supplémentaire de l'offre, les prix du pétrole ont continué à grimper, et enregistrèrent leur record historique à environ 40 $ le baril. Si l'on ajuste cela à l'inflation (en dollars actuels), le pétrole avait en fait atteint un sommet à 90 $ le baril en 1980 !
Il vaut donc la peine de noter aujourd'hui que c'est en majeure partie l'offre qui a multiplié les prix du pétrole par vingt dans les années 70.
Au début des années 70, la production pétrolière américaine avait dépassé son sommet, un fait largement inconnu à l'époque. Un scientifique légendaire, du nom de King Hubbert, avait prédit en 1956 que les Etats-Unis atteindraient leur sommet en tant que producteur pétrolier à peu près à ce moment-là. Les experts de l'époque ne prenaient pas Hubbert au sérieux. Après tout, les Etats-Unis étaient le plus grand producteur pétrolier au monde depuis 100 ans. En 1970, la production américaine avait atteint un sommet record à 9,6 millions de barils de pétrole par jour. Les universitaires ont ignoré Hubbert, le traitant de savant fou, sans réaliser que 1970 était effectivement l'année où la production pétrolière atteignait un sommet aux Etats-Unis ! A la fin de la décennie, les Etats-Unis avaient été remplacés par l'Arabie Saoudite au poste de plus grand producteur pétrolier au monde -- et ça n'a pas changé depuis.
A présent, revenons à la situation actuelle. Pourquoi le pétrole a-t-il grimpé -- et où ira-t-il probablement dans les années qui viennent ? Pour le savoir, tournons-nous vers les acteurs principaux -- l'offre et la demande.
L'offre est extrêmement serrée ; l'OPEP extrait déjà presque au maximum de ses capacités, et la majorité des provinces pétrolières ont largement dépassé leur sommet productif. C'est un fait connu : une fois que les champs de pétrole principaux auront atteint leur sommet, les taux de production déclineront notablement. Ces champs peuvent ensuite produire du pétrole pour les années à venir -- mais à un rythme considérablement réduit.
Les dernières provinces pétrolières principales ont été découvertes entre 1967-1968 en Alaska, dans la mer du Nord et en Sibérie. L'Alaska a accéléré dans les années 90, et son sommet a eu lieu en 1999, à 6 millions de barils par jour. La production actuelle a baissé de 25%. La Sibérie a atteint son sommet à 10 millions de barils par jour. Actuellement, elle produit 5 millions de barils quotidiens. Comme dit plus haut, les Etats-Unis ont atteint leur sommet en 1970-1971, et leur production actuelle n'est que l'ombre de leur sommet record. De plus, selon les officiels chinois et mexicains, leurs propres principaux champs pétroliers de Daqing et Cantarell, respectivement, sont également proches de leurs sommets de production. Le déclin qui s'ensuivra pour ces deux champs à eux seuls créera un manque de 1,8 millions de barils par jour !
Quelles seront les conséquences d'un tel déclin ? C'est ce que nous verrons dès demain...
Il faut s'y faire : notre monde dépend désormais lourdement du pétrole saoudien. Les Saoudiens affirment avoir 260 milliards de barils de réserves prouvées, et que leurs champs de pétrole sont capables d'extraire entre 15 et 20 millions de barils de pétrole par jour. Mais les Saoudiens seront-ils en mesure de remplir leurs promesses lorsque la demande de pétrole augmentera dans les années qui viennent ? Pour la réponse, regardons de plus près les affirmations saoudiennes.
Jusqu'en 1979, la compagnie pétrolière saoudienne ARAMCO était détenue par de grandes sociétés pétrolières étrangères. En 1979, juste avant que l'Arabie Saoudite ne se dégage des intérêts étrangers et nationalise ARAMCO, un audit final des réserves pétrolières saoudiennes fut effectué. L'étude révélait que l'Arabie Saoudite possédait 110 milliards de barils de réserves prouvées. Puis, au milieu des années 80, peu après la nationalisation d'ARAMCO, les réserves prouvées saoudiennes grimpèrent miraculeusement de 150%, à 260 milliards de barils ! Personne ne sut comment cela avait pu se produire, et on peut largement remettre tout ça en question, puisque le dernier grand champ de pétrole saoudien a été découvert en 1968 ! Comment les Saoudiens ont-ils réussi à augmenter leurs réserves prouvées de 150 milliards de barils depuis qu'ils ont repris ARAMCO, voilà qui reste un mystère. Pour compliquer encore les choses, au cours des 25 dernières années, les réserves prouvées saoudiennes sont restées constantes, à 260 milliards de barils. Comment ces réserves peuvent-elle rester inchangées à 260 milliards de barils alors qu'on en a extrait près de 60 milliards de barils depuis 1980 ? La question reste en suspens...
Maintenant, voyons de plus près les capacités de production pétrolière saoudiennes, qui semblent plonger le monde dans la perplexité. La majorité des gens pensent que l'Arabie Saoudite peut continuer à fournir au monde une quantité illimitée de pétrole brut. Dans les faits, la réalité est peut-être bien différente. Peu de gens réalisent que plus de 90% du pétrole saoudien provient de six champs seulement, tous ayant été découverts avant les années 70 -- tous ces champs sont donc désormais extrêmement usés, et selon les experts, ils ont dépassé leur sommet. Le champ de pétrole de Ghawar, le chef de file, a fourni 55% à 60% du pétrole saoudien ces cinq dernières décennies ! Selon des experts comme Matthew Simmons, Ghawar a déjà atteint son sommet et va probablement entrer dans une phase de déclin majeur.
Certains analystes affirment que les réserves pétrolières sont infinies, et que la Russie a trouvé le moyen d'extraire du pétrole de réserves jusqu'alors inatteignable. Si c'est le cas, pourquoi le pétrole cote-t-il à plus de 60 dollars le baril ? Les prix auraient dû s'effondrer, avec d'aussi bonnes nouvelles.
La demande mondiale de pétrole est une autre paire de manches. L'Agence internationale de l'énergie (AIE), basée à Paris, estime qu'au quatrième trimestre de cette année, la demande atteindra les 86 millions de barils par jour, un sommet record.
La demande asiatique de pétrole augmente rapidement, et on s'attend à ce qu'elle double au cours des 8-10 prochaines années. Au cours du temps, nous pouvons nous attendre à ce que les économies émergentes consomment bien plus de pétrole que le monde industriel -- un fait indiscutable ne serait-ce qu'à cause des chiffres démographiques dans les pays en voie de développement. Que se passera-t-il lorsque la demande de pétrole asiatique doublera, pour atteindre quasiment 40 millions de barils par jour dans quelques années ? D'où proviendront les 20 millions de barils supplémentaires ? Cet excès de demande sera probablement réglé non par l'augmentation de l'offre, mais par des prix significativement plus élevés.
Meilleures salutations,
Puru Saxena
Pour la Chronique Agora
(*) Puru Saxena est le rédacteur de Money Matters, une publication économique et financière. Conseiller d'investissement basé à Hong Kong, il participe régulièrement à des émissions sur CNBC, BBC World, Bloomberg TV & radio, NDTV, RTHK Radio 3, et écrit pour plusieurs journaux et publications financiers.