Les coûts du champ géant de Kashagan dérapent à 136 milliards de dollars
Le projet pétrolier réunit quasiment toutes les majorsLe gisement kazakh de Kashagan constitue la plus grande découverte pétrolière depuis Prudhoe Bay, en Alaska, il y a 30 ans. Mais son entrée en production a été repoussée de 2008 à mi-2010 et ses coûts prévisionnels ont plus que doublé.
Le champ pétrolier de Kashagan faisait rêver toutes les majors depuis sa découverte en 2000, il tourne aujourd'hui au cauchemar. Car s'il constitue la plus grande découverte depuis Prudhoe Bay, en Alaska, en 1968, il est situé dans une zone particulièrement difficile du Kazakhstan. Il voit ses coûts et ses délais déraper au point que les autorités kazakhes menacent depuis fin juillet le consortium de majors qui le développe (baptisé Agip-KCO) de changer les accords d'exploitation.
De l'aveu de l'opérateur du projet, le pétrolier italien ENI, qui a remis un plan révisé à l'Etat kazakh, les investissements et les coûts d'exploitation du projet sur ses 30 ans de vie planifiée ont dérivé, pour passer de 57 milliards de dollars en 2004 à... 136 milliards de dollars aujourd'hui. Parallèlement, l'entrée en production, originellement prévue pour 2005, qui avait déjà été repoussée à fin 2008, n'est désormais plus envisagée avant mi-2010 ! Pas de rentrées d'argent avant cette date, donc, même si la production devrait ensuite atteindre un niveau très important : 1,5 million de barils de brut par jour.
En réaction à ces dérapages, et alors que l'équilibre économique du projet tient déjà de la haute voltige, le ministre kazakh de l'Energie, Baktykozha Izmukhambetov, semble décidé à renégocier les accords d'origine pour obtenir non plus 10 %, mais 40 % des bénéfices liés aux ventes de brut.
Affolement dans les rangs des majors, qui sont quasiment toutes présentes dans Kashagan. Sans attendre les négociations du consortium avec les autorités kazakhes, qui se tiendra dans les prochaines semaines, certaines comme Total prennent leurs distances. Son directeur financier, Robert Castaigne, a assuré jeudi les analystes financiers que le groupe tricolore ne s'entêterait pas sur ce projet si l'Etat kazakh ne lui offrait pas des conditions satisfaisantes. En même temps, des solutions sont recherchées par les pétroliers pour arriver à la table des discussions sous les meilleurs auspices.
Les conseils d'ExxonMobil
Le plus grand pétrolier coté au monde, ExxonMobil, va envoyer ses ingénieurs conseiller ENI pour redresser la barre, fort de son expérience d'opérateur sur un autre champ très difficile, Sakhaline I, où il doit notamment forer sous la glace de la mer d'Okhotsk. Kashagan, situé au large des côtes de la mer Caspienne, est pris par les glaces 6 mois par an. Son brut est très souffré, donc corrosif pour les oléoducs, et il présente une difficulté technologique inédite car il contient du gaz à haute pression pouvant endommager les équipements.
En bref, il fait partie de ces « éléphants » - des champs géants - si difficiles à exploiter que l'on n'y aurait pas songé avant la flambée du brut et la raréfaction des gisements classiques. De la même façon, les coûts d'investissements de Sakhaline 2, sur l'ile russe de Sakhaline, ont doublé, suscitant l'ire du Kremlin....
Autre raison de la dérive des budgets, l'inflation dans les services pétroliers (exploration, forage, construction, etc). Au total, selon une étude de Credit Suisse, le développement de nouvelles réserves aurait coûté l'an dernier en moyenne mondiale 14,60 dollars par baril de brut, contre 3,70 dollars en 2000, année de la découverte de Kashagan dont le coût, à l'origine, était estimé à 29 milliards de dollars seulement...
Enfin, au niveau des majors partenaires, des professionnels grondent sous couvert d'anonymat contre la désorganisation voire l'improvisation qui règnerait chez ENI, perçu comme trop petit et inexpérimenté pour gérer un monstre pareil. Face aux dérives actuelles, le Kazakhstan pourrait-il s'inspirer de l'exemple récent du Kremlin, qui a repris aux majors étrangères la moitié de leurs intérêts dans Sakhaline 2 pour l'attribuer au gazier national Gazprom, désormais opérateur ? Peu croient à un tel coup de force. En revanche, le bras de fer sur une nouvelle répartition des recettes de la production semble commencé.
A l'exception du britannique BP, toutes les super-majors sont présentes au capital du consortium Agip-KCO développant Kashagan, chacune y détenant un intérêt de 18,25 % : le numéro un mondial ExxonMobil, l'anglo-néerlandais Royal Dutch Shell et le français Total.
S'y ajoute, avec la même participation de 18,25 %, l'italien ENI, opérateur du projet.
En second rang, sont présents l'américain ConocoPhillips (9,26 %) le japonais Inpex et le pétrolier étatique kazakh KazMunaiGas (tous deux détenant 8,33 %).
