Nucléaire chinois : battu par Westinghouse, Areva espère encore un lot de consolation
Après plus de deux ans de compétition acharnée, les autorités chinoises ont confié ce week-end à l'américain Westinghouse la construction de 4 réacteurs de troisième génération. Un marché estimé autour de 6 milliards de dollars. Un sérieux revers pour Areva. Mais pour ménager Paris, Pékin pourrait tout de même commander 2 EPR au groupe français.
Areva va devoir oublier très vite cette fin d'année 2006. Après avoir concédé un nouveau retard de six mois sur le chantier de l'EPR finlandais, le leader mondial du nucléaire vient de perdre le contrat qui faisait saliver toute la profession : celui des réacteurs chinois de troisième génération. Comme on le pressentait (« Les Echos » du 15 mars 2006), l'américain Westinghouse est sorti vainqueur, ce week-end, de l'appel d'offres lancé voilà plus de deux ans par les autorités chinoises, et portant sur la construction de 4 nouvelles centrales dans le sud du pays. Un marché estimé à un peu moins de 6 milliards de dollars (4,6 milliards d'euros).
C'est une très grosse déconvenue pour la filière nucléaire française. Apprenant la nouvelle, le ministre de l'Economie, Thierry Breton, a sobrement « pris note » du choix effectué par Pékin. Mais le revers subi par Areva est apparemment très mal vécu à Bercy. Dans l'entourage du ministre, on regrettait ouvertement, samedi, que le groupe français n'ait pas mis toutes les chances de son côté, en démarrant aussi mal son chantier finlandais, vitrine revendiquée du futur réacteur EPR. Propos « malveillants et ignorants », rétorque-t-on chez Areva, où l'on rappelle les spécificités du cas finlandais : un contrat clefs en main, alors que les Chinois souhaitaient une simple livraison de réacteur.
L'échec du lobying français
De fait, les autorités chinoises n'ont pas attendu leur dernière visite de chantier en Scandinavie pour faire pencher la balance du côté américain. A l'échelon industriel, les décideurs avaient opté depuis longtemps pour Westinghouse et son modèle AP1000, qui n'a encore jamais été construit (ses études de design ne seront pas achevées avant 2011) et se prête, de ce fait, plus facilement à des transferts de technologies. Surtout, l'appel d'offres lancé par Pékin s'est rapidement teinté de considérations politiques.
Portés par Washington depuis le début de la compétition, les 4 réacteurs proposés par Westinghouse (qui a été acheté, en début d'année, par le japonais Toshiba) contribueront clairement à rééquilibrer la balance commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Le fait que Pékin ait choisi d'officialiser son choix lors de la visite de l'impressionnante délégation dirigée par Henry Paulson, le secrétaire au Trésor américain, montre assez bien que les aspects industriels du dossier n'étaient pas les seuls en jeu. Et de ce point de vue, l'échec d'Areva est aussi celui du lobbying exercé depuis des mois par les plus hautes autorités de l'Etat français. En octobre, le président de la République, Jacques Chirac avait même fait du dossier nucléaire l'un des enjeux prioritaires de sa visite en Chine. Il avait alors martelé à ses interlocuteurs qu'il s'agissait d'une « décision capitale », et clairement laissé entendre que la France n'aiderait plus les Chinois à développer leur propre filière nucléaire s'ils tournaient le dos à Areva. Le 1er décembre dernier, à l'occasion d'une visite de quelques heures, Thierry Breton était, lui aussi, venu répéter ce message de fermeté aux autorités chinoises.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Une petite chance de rebondir. Car, dans le cadre de sa stratégie de « partenariat global », le groupe français croit encore en ses chances en Chine. Un émissaire du gouvernement chinois sera justement demain à Paris pour explorer de nouvelles collaborations dans le domaine nucléaire. La duplication des réacteurs existants sera l'un des sujets à l'ordre du jour, tout comme un éventuel partenariat dans le traitement du combustible, qui pourrait permettre à la Chine de se doter, dans un avenir lointain, de sa propre filière dans « l'aval du cycle ». Mais la visite de l'émissaire chinois réservera peut-être une autre surprise. Selon nos informations, Pékin serait en effet soucieux de ménager les susceptibilités françaises, et envisagerait de commander à Areva 2 réacteurs EPR, en plus des 4 AP1000 de Westinghouse. Un lot de consolation, en quelque sorte, pour éviter que vingt années de coopération franco-chinoise dans le nucléaire ne partent en fumée.