L’Amérique coule le dollar pour soulager son économie (f.ullman)
Le visionnaire Marc Faber critique sévèrement la décision de la Réserve fédérale, dont la baisse des taux ne privilégie que les hommes de Wall Street.
Propos recueillis par Sylvain Frochaux à Lausanne
Au soleil couchant, Marc Faber décroche le téléphone. Il est tranquillement assis à son bureau de Chiang-Mai et répond du «hallo» le plus zurichois de Thaïlande. Chaque observateur du marché aurait reconnu cet accent, si souvent relayé sur les chaînes financières. Si l’auteur des Gloom Boom & Doom Reports est aujourd’hui encore si convoité, c’est que sa célébrité relève avant tout de ses prédictions visionnaires sur les marchés. Pour preuve, il aurait, selon son site internet, recommandé à ses clients de sortir de la bourse new-yorkaise une semaine avant le krach d’octobre 1987. En les prévenant de l’éclatement de la bulle japonaise au début des années 1990, il leur aurait en plus offert la possibilité de bons retours sur investissement. Il aurait également prédit la crise asiatique en 1997-98 et la volatilité mondiale qui en a résulté, ainsi que le boom de l’or dès 2001. Son expérience, il l’a forgée à Wall Street comme courtier pour White Weld & Company, puis à Hong Kong, où il garde un bureau depuis 1973. Il a dirigé ensuite la cellule hong-kongaise de Drexel Burnham Lambert pendant près de douze ans, avant sa faillite en 1990. Il gère aujourd’hui quelque 300 millions de dollars à travers une société d’investissement qui porte son nom. Connu pour son caractère contrarian et ne suivant les tendances générales ni à la hausse ni à la baisse, il se dit très pessimiste sur l’avenir du dollar et très optimiste sur l’or et l’immobilier dans les pays émergents. Entretien exclusif.
Selon vos termes, la réduction des taux d’intérêt de la Réserve fédérale était «une action suicidaire»...
Marc Faber: Je traite même la Fed de manipulatrice de marché. Elle poursuit une politique qui autorise les prix des actifs à monter, mais lorsque les marchés corrigent, elle se refuse à laisser les mécanismes s’auto-ajuster. Quel genre de capitalisme est-ce donc? Si la politique monétaire d’un système libéral se limite à imprimer des billets de banques, vous ne faites que repousser à plus tard le moment de vérité. Or voilà maintenant des années que cela dure. En 1994, il a eu la crise «tequila», en 1998 le krach LTCM, en 2000 la chute du Nasdaq et aujourd’hui le problème provient du marché immobilier.
Dans quelle mesure la Fed est-elle responsable de la crise actuelle?
Entre janvier 2001 et juin 2004, soit pendant trois ans et demi, la Fed a réduit ses taux jusqu’à 1%, alors que l’économie américaine commençait déjà à se redresser en novembre 2001. En laissant ainsi les taux à un niveau si bas, le gouverneur Alan Greenspan a donc encouragé la population à se lancer corps et âme sur le marché hypothécaire à haut risque dont on mesure aujourd’hui les conséquences.
Ces taux ont toutefois permis à l’économie de solidifier une relance plus soutenue...
Oui, mais c’est là le problème. La Fed veut inciter la population à consommer davantage alors que les Américains sont déjà en indigestion. Elle devrait au contraire encourager l’épargne et les investissements en capital. Un pays riche ne reste pas riche en consommant, mais en investissant. Regardez leurs aéroports. Même les Asiatiques ne voudraient pas d’infrastructures aussi désuètes. C’est un désastre total.
Que devrait alors faire la Fed?
Augmenter les taux d’intérêt, et tant pis si les investisseurs perdent de l’argent! Ce n’est pas le rôle d’une banque centrale de sauver le marché des actions. L’argent est aujourd’hui tellement bon marché qu’il devient totalement ridicule de le garder dans un compte en banque. Le peu d’intérêt que votre banquier vous offre en fin d’année ne permet même plus de couvrir le renchérissement des produits. Depuis 2001, les taux d’intérêt ont été plus faibles que la croissance nominale du PIB, alors que la masse monétaire (M3) a augmenté de 12% par an.
Pensez-vous que la Réserve fédérale américaine va tout de même réagir face à la faiblesse du dollar?
Non. En laissant les opérations aux imprimeurs de billets, la Fed a montré qu’elle s’intéressait uniquement à la valeur des actifs et nullement à celle du dollar. Les actifs et les dettes extérieures étant libellés en dollars, les autorités ne se sentent pas concernées par la véritable valeur de leur monnaie. Mais, c’est une grave erreur. Le billet vert est aujourd’hui condamné et dans quelques années il ne vaudra plus rien, tout comme les obligations à 30 ans. Ils ne serviront plus qu’à tapisser les murs comme papier peint. Ou alors, on pourra les encadrer pour se souvenir de l’effondrement de l’empire américain.
Faut-il donc vendre du dollar et acheter de l’euro aujourd’hui?
Non, le dollar est déjà vendu de manière excessive actuellement. Mais, à long terme, la devise européenne sera une devise de meilleure qualité. Le problème réside dans le fait que la Banque centrale européenne va certainement suivre la Fed et couper également ses taux pour se rapprocher d’une valorisation plus compétitive. Un tel mouvement se fera alors au détriment de l’inflation, ce qui abaissera le niveau de vie des Européens.
La BCE baissera-t-elle aussi ses taux?
Si le dollar s’échange à 1,45 euro ou plus, je pense que la BCE coupera également son taux directeur. Sinon, elle le laissera inchangé.
Vous attendez-vous à ce que la Fed injecte encore des liquidités?
Elle ne va jamais arrêter. Ben Bernanke continuera de jeter de l’argent depuis son hélicoptère pour sauver Wall Street. Tout comme la Banque centrale européenne.
Ce qui provoquera de l’inflation...
Evidemment. Mais, nous sommes déjà dans un environnement où le prix des actifs est très élevé. Le consommateur moyen doit faire face à une évolution annuelle des prix d’environ 5% aujourd’hui. Bernanke est certainement un homme intelligent, mais il est aussi un menteur lorsqu’il déclare que l’inflation se trouve en dessous de 2%. Il fait exactement ce que Greenspan faisait avant lui et, ce faisant, il provoquera l’effondrement complet du système capitaliste.
Le capitalisme ne va-t-il pas survivre?
Non, si les banques centrales continuent de se comporter de la sorte. Soit nous avons un modèle d’économie planifiée, avec des bureaucrates qui dictent les directions à prendre, soit nous avons une économie de marché. Je suis bien sûr en faveur de cette dernière, mais pas lorsque les acteurs censés créer de la prospérité maintiennent des politiques monétaires qui bénéficient aux Goldman Sachs et autres Wall Street et non pas à la majorité de la population.
Sommes-nous déjà dans une situation de non-retour?
C’est possible. Ce d’autant que, si Hillary Clinton est élue présidente, il faudra s’attendre à ce qu’elle use encore davantage de la planche à billets. Les Etats-Unis seront alors au-devant d’une crise politique majeure (lire également en page 23).
«Les marges se réduiront, le marché réagira en conséquence»
Vous avez déclaré au mois d’août que Wall Street allait chuter de 30%. Maintenez-vous un tel scénario?
Tout dépend de la façon dont vous mesurez l’indice. Même si le Dow atteint aujourd’hui un record en termes absolus, un investisseur européen aura perdu près de 39% depuis le pic de 2001 en raison de la chute du dollar face à l’euro. Voire même 65% par rapport à l’or. Quand une devise ne vaut plus rien, elle perd sa valeur d’unité comptable. En l’an 2000, par exemple, lorsque le Dow se trouvait à 12.000 points, l’indice se traitait pour l’équivalent de près de 44 onces d’or, tandis qu’aujourd’hui il n’en vaut plus que 18. Et si le Dow double demain à 28.000 points, mais qu’en même temps le prix de l’or quintuple, l’investisseur ressortira perdant. Il faut donc faire attention à la monnaie de référence.
Quelles sont vos prévisions sur les résultats des entreprises au troisième trimestre?
Il est encore difficile de dire si elles seront bonnes ou mauvaises, car les sociétés peuvent toujours cacher pour quelque temps les éléments perturbateurs. Une chose est en revanche sûre: à un moment ou à un autre, les marges vont se comprimer et le marché réagira en conséquence.
Dans le passé, les bulles ne touchaient généralement qu’un nombre limité de secteurs ou de régions, mais il semble que la crise touche aujourd’hui tout le monde...
Nous assistons actuellement à une bulle qui frappe au cœur des résultats des entreprises. Et cela, de manière globale. Auparavant, les crises étaient, par exemple, restreintes aux canaux et aux chemins de fers au XIXe siècle. Ou alors à l’argent et à l’or dans les années 1970 et au Japon une décennie plus tard. Maintenant, il existe une bulle sur les matières premières, sur les devises, sur les actions, dans le secteur de l’art et même sur le marché obligataire.
Quand cette bulle va-t-elle éclater?
Je ne sais pas. Cela pourrait être aujourd’hui ou dans cinq ans si la planche à billets continue de tourner. Mais, quand elle éclatera, les conséquences seront terribles. Un conseil donc, mettez votre argent dans l’or.
En dehors de ce pessimisme, reste-t-il des thèmes d’investissement valables?
L’immobilier est l’un des investissements les plus raisonnables aujourd’hui. En Asie, bien sûr, mais également en Europe de l’Est et en Russie. En Suisse, il reste aussi des terrains abordables, mais seulement dans les zones rurales, loin des centres zurichois ou genevois. Sinon, le marché en Thaïlande est relativement bon marché, même si je ne peux vous garantir s’il montera de manière substantielle. Sur le marché des devises, je recommande d’acheter du yuan. – (SF)
http://forcast.canalblog.com/archives/p15-15.html
Un changement radical de nos modes de vie et un renoncement au « progrès » est le prix à payer pour éviter le désastre. Comme cela paraît irréalisable, l’occultation du mal s’ensuit inévitablement (jean-Pierre Dupuy).