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par Flatbeat » 23 juin 2008, 10:15
Libération - 23 juin 2008
Le rôle de la spéculation financière dans la hausse des cours du pétrole a été l’un des sujets de discorde, hier, de la conférence de Djedda (Arabie Saoudite), qui réunissait pays consommateurs et producteurs de pétrole, et qui s’est achevée sur l’exigence d’une «meilleure transparence et plus grande régulation des marchés financiers». Un peu plus tôt, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite avait lancé une violente diatribe contre ces «spéculateurs qui perturbent le marché pour servir leurs intérêts égoïstes», y voyant l’une des causes de la hausse des prix. «Le capital suit la montée du marché du pétrole, ce n’est pas lui qui la conduit», avait rétorqué le secrétaire américain à l’Energie, Samuel Bodman. Où se situe la vérité ?
Réponse de Francis Perrin, l’un des meilleurs connaisseurs du dossier.
Quelle est la vraie part de la spéculation dans la flambée du pétrole ?
Pour moi, la spéculation n’est pas l’élément moteur dans la hausse du pétrole. Elle existe et constitue un aspect significatif de la flambée, mais elle n’a pas lancé le mouvement. Les spéculateurs sont plus des suiveurs que des faiseurs de prix. Ils ont vu que le prix du pétrole augmentait, ils ont étudié ce marché qu’ils connaissaient mal, car ce sont des financiers et non des industriels, et sont arrivés à la conclusion qu’il avait encore un potentiel de hausse important du fait d’un risque de déséquilibre entre une demande qui continue à croître - même avec un baril à près de 140 dollars - et une offre qui ne sera peut-être plus suffisante demain pour couvrir la demande. Ces acteurs financiers se disent qu’il y a encore un potentiel de valorisation et jouent le pétrole à la hausse.
Qui sont exactement ces acteurs financiers ?
Financiers et spéculateurs sont des mots souvent utilisés comme synonymes ; or ce n’est pas la même chose. Les spéculateurs sont des acteurs financiers qui s’intéressent au pétrole parce que c’est un moyen de gagner de l’argent sur le court terme. Mais tous les acteurs financiers ne sont pas des spéculateurs. Il peut s’agir aussi de fonds de pension qui cherchent à investir dans des actifs présentant un bon potentiel de valorisation sur le long terme. Ces acteurs financiers, un peu déboussolés par la crise immobilière américaine, se replient sur le marché des matières premières et particulièrement sur le pétrole, attrayant du fait de la hausse continue de la demande.
Le moteur de la flambée serait donc le déséquilibre offre-demande ?
Plutôt la perception d’un risque important de déséquilibre pour l’avenir. Le mois prochain, l’Agence internationale de l’énergie va publier ses projections à moyen terme. Elle va sûrement dire qu’il existe, dans les cinq ans à venir, un risque élevé que l’offre ne puisse plus couvrir la demande, du fait d’investissements insuffisants. Cette hausse de la demande est bien sûr une moyenne au niveau mondial. Aux Etats-Unis, à cause de la crise financière et de la hausse du prix du carburant, la demande a un peu baissé, comme en Europe, mais partout ailleurs, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient, en Amérique latine, elle augmente…
La Chine a levé les subventions sur le pétrole, cela peut freiner la demande…
Les subventions, là est le vrai sujet. Pourquoi, à des prix aussi élevés, la demande pétrolière continue-t-elle à augmenter dans certains pays (Chine, Inde, Moyen-Orient, Amérique Latine…) ? Parce que les prix des produits pétroliers y sont massivement subventionnés pour maintenir une croissance élevée (les sommes générées par cette croissance apportent bien plus aux gouvernements que le montant des subventions). Au moins la moitié de la population mondiale vit dans des pays où les prix des produits pétroliers sont subventionnés. Mais les prix deviennent si élevés que ces pays sont forcés de réduire un peu les subventions, car ils ne s’en sortent plus. Les subventions peuvent représenter 10 à 20 % du budget de l’Etat ! Certains de ces pays vont donc devoir donner des coups de canif dans leur politique de subvention, et cela peut marquer un tournant, montrer qu’on a atteint une zone de prix à la limite du supportable.
La flambée du pétrole tient donc davantage aux subventions qu’à la spéculation ?
Bien plus, car, s’il n’y avait pas les subventions, les cours mondiaux ne continueraient pas à augmenter ainsi. Le portefeuille des gens n’est pas illimité, surtout dans les pays en développement. Seul ce système de subventions permet à la demande pétrolière de continuer à augmenter. Et fait que le système est au bord de l’explosion.
Pourquoi les pays producteurs n’augmentent-ils pas leur offre ?
Mais parce qu’ils ne le peuvent pas ! Aujourd’hui, l’écart entre capacités de production et production - c’est-à-dire ce qui pourrait être produit en plus avec quelques semaines de préavis - ne dépasse pas 2 millions de barils par jour (dont 1,7 million de l’Arabie Saoudite), ce qui est très peu rapporté à une consommation de 87 millions de barils par jour ! C’est là aussi une raison de la flambée actuelle. Les marges de manœuvre étant très faibles, une seule catastrophe - par exemple un cyclone cet été dans le golfe du Mexique - peut faire grimper les prix au-delà de 200 dollars le baril et menacer de faire basculer la planète dans la pénurie !
Par ailleurs, l’intérêt de l’Arabie Saoudite, c’est que les prix du pétrole soient assez élevés pour qu’elle gagne beaucoup d’argent, mais pas assez pour que cela pousse les pays consommateurs à baisser leur consommation. D’où ses propositions régulières d’accroître légèrement l’offre. Mais l’équilibre du marché pétrolier, et donc de la planète, peut-il reposer uniquement sur l’Arabie Saoudite ?
Est-ce que cette flambée ne rentabilise pas certains projets d’exploration pétrolière ?
Oui, si l’on a accès aux réserves. Or, on ne peut aller ni en Arabie Saoudite, ni au Koweït, ni au Mexique. Qui ira investir en Irak ou en Iran ? Et au Venezuela, et en Russie ? Les compagnies pétrolières n’ont jamais été aussi riches, certes, mais elles ne peuvent accéder aux pays qui ont le plus gros potentiel de la planète.