La fusion nucléaire se donne le siècle pour faire ses preuves
LE MONDE | 04.04.08
La garrigue a cédé la place aux préfabriqués. Les sangliers aux engins de terrassement. Entre Luberon et Alpilles sortent de terre, au bord de la Durance, les premiers signes tangibles que le réacteur à fusion nucléaire ITER (International Thermonuclear Expérimental Reactor) n'est pas qu'un rêve de physiciens. Les travaux de viabilisation du terrain de 180 hectares, propriété du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Cadarache (Bouches-du-Rhône), s'achèvent. Le nivellement de la plate-forme de 35 hectares où sera installée la machine commence. Il nécessitera le déblaiement de plus de 2 millions de mètres cubes de matériaux, soit le volume de la pyramide de Khéops. La construction du réacteur lui-même doit débuter en 2009.
Le chemin (iter en latin) qui conduira peut-être, un jour, à disposer d'une énergie issue de la fusion thermonucléaire reste encore long. Si tout va bien, ITER entrera en fonctionnement en 2018, pour vingt ans. Cet outil expérimental, destiné à établir "la faisabilité scientifique et technique de la fusion thermonucléaire", ne produira pas d'électricité. Ce sera la tâche de son successeur, le démonstrateur Démo, vers 2040. Un prototype industriel n'est pas envisagé avant 2060, et un éventuel déploiement de réacteurs opérationnels, que les scientifiques faisaient naguère miroiter pour le milieu du siècle, n'est plus espéré avant 2070 ou 2080.
C'est dire si la maîtrise de la fusion thermonucléaire - celle qui fait briller les étoiles - nécessite d'immenses avancées, fondamentales et technologiques. Depuis les premiers travaux, voilà une soixantaine d'années, des progrès ont pourtant été accomplis. Russes, Américains, Européens, Chinois, ont développé des machines en forme de tore - des tokamaks - où ils s'efforcent de reproduire les réactions de fusion entre noyaux atomiques qui se produisent dans le coeur des astres, en libérant une grande quantité d'énergie. Pour y parvenir, ils doivent porter à 150 millions de degrés des plasmas et les confiner grâce à de puissants aimants.
Depuis 1983, l'Europe dispose du JET (Joint European Torus) de Culhan (Grande-Bretagne), qui a signé le record de puissance de fusion : 16 millions de watts (MW), mais pendant une seconde seulement et en consommant 25 MW pour chauffer le plasma. La France, de son côté, exploite depuis vingt ans le réacteur Tore Supra, de Cadarache, qui a établi le record de durée de réaction : 6 minutes et demie, mais avec une puissance de fusion négligeable.
Gagner simultanément en puissance et en durée : tel est l'objectif assigné à ITER, qui devra atteindre une puissance de fusion de 500 MW, pendant 400 secondes, en ne consommant que 50 MW pour amorcer et entretenir la réaction. Une performance encore insuffisante pour un réacteur industriel, où la puissance générée devra être 20 fois supérieure à celle injectée. Un tel résultat ne pourra être obtenu qu'avec une machine où la réaction de fusion s'entretiendra elle-même, de façon continue.
L'expérience engrangée avec le JET et Tore Supra va être mise à profit pour ITER. Mais on ne change pas seulement d'échelle : 25 mètres cubes de plasma pour le JET, 100 mètres cubes pour Tore Supra, 830 mètres cubes pour ITER. Dans le futur réacteur, les neutrons de très haute énergie (14 millions d'électrons-volts) émis lors de la fusion deutérium-tritium viendront bombarder les parois intérieures de la machine, où le flux de chaleur pourra atteindre 10 à 15 MW par mètre carré, une fournaise proche de celle qui règne à la surface du Soleil. Aucun matériau ne résiste aujourd'hui durablement à un tel régime, et des alliages nouveaux vont devoir être testés au Japon.
Il faudra aussi apprendre à maîtriser les instabilités des plasmas, en mobilisant la puissance de modélisation des supercalculateurs du futur. Valider de nouveaux systèmes de chauffage du mélange gazeux. Mettre au point des procédés de récupération des cendres radioactives de tritium...
Des améliorations vont être apportées, cette année, à Tore Supra, sur lequel est aussi testé un bras robotisé d'inspection interne. En attendant ITER, les équipes du CEA espèrent pouvoir continuer à se faire la main sur cet outil de recherche, ou sur le JET européen. Mais, pour des raisons de coût, le maintien en activité de ces deux installations n'est pas assuré. Une décision devrait être prise fin 2008.