Réchauffement climatique : L’objectif à +1,5°C est-il « mort » et enterré ?
R.I.P Les records climatiques ne cessent de se succéder et les climatologues sont de moins en moins optimistes sur l’avenir de l’humanité face au réchauffement climatique
Diane Regny Publié le 05/10/23
Huit ans après l’accord de Paris, l’objectif de limiter la surchauffe de la planète à 1,5 °C est-il enterré ? Ces derniers mois, les records de températures s’enchaînent plus vite que les essais dans un match de rugby France-Namibie. Juillet 2023 a décroché l’or, devenant le mois le plus chaud, tous mois confondu. Puis, septembre 2023 a été le plus torride jamais enregistré. Partout sur le globe, le réchauffement climatique charrie des catastrophes dans son sillage. La Grèce a lutté contre le plus grand incendie jamais enregistré dans l’Union européenne. Des inondations ont déferlé sur la Chine, la Slovénie et New York. Jour après jour, les annonces liées au changement climatique s’approchent du rythme quotidien. Et la promesse de limiter le réchauffement de la Terre à 1,5 °C s’éloigne.
« Limiter le réchauffement à 1,5 °C est illusoire », tranche François Gemenne, membre du Giec. « La fenêtre d’opportunités est vraiment très réduite parce que les gouvernements tardent à porter une réponse à la hauteur du réchauffement climatique. Mais l’objectif à 1,5 °C n’est pas mort », répond, plus optimiste, Fanny Petitbon, experte climat pour l’ONG CARE. L’année 2023 flirte déjà avec cette limite fatidique. Depuis janvier, « la température moyenne mondiale est 1,4 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle », annonçait ce jeudi l’observatoire européen Copernicus.
Déjà « 1,2 °C d’élévation en moyenne »
Mais l’année 2023, quoique exceptionnelle, n’est toutefois pas déterminante quand il s’agit d'affirmer si la planète va dépasser la barre des 1,5 °C. L’analyse du climat se fait sur des périodes plus longues qu’une année et c’est en se basant sur des analyses météorologiques de plusieurs décennies que le Giec détermine le réchauffement global de la planète. « Le climat s’observe sur 20-30 ans quand la météo, elle, s’apprécie parfois au jour le jour », abonde Fanny Petitbon.
Alors, où en est la fièvre de la planète bleue ? « Aujourd’hui, nous sommes à 1,2 °C d’élévation moyenne et les 1,5 °C seront vraisemblablement atteints entre 2030 et 2035 », répond François Gemenne, citant les analyses du Giec. « On n’est pas sur la bonne trajectoire », regrette Fanny Petitbon qui ajoute que les 1,5 °C sont « une limite de survie ». « On voit déjà des catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes mais à 1,5 °C, le monde va être confronté à une accélération et on va entrer en territoire inconnu », s’inquiète-t-elle.
« C’était déjà mort en 2015 ! »
Le 4 novembre 2016, le gouvernement français avait salué un « jour historique pour la planète » alors qu’entrait en vigueur l’accord de Paris sur le climat. « Mais c’était déjà mort en 2015 ! », s’exclame François Gemenne. « La barre des 1,5 °C est un marqueur de l’ambition politique. C’est exactement la même chose que de dire : "on veut zéro mort sur les routes" », tance l’expert du Giec qui assure que « même si on arrêtait complètement nos émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui, on serait vraisemblablement à 1,5 °C quand même ».
« L’objectif de 2 degrés reste encore atteignable, même si ça sera extraordinairement difficile. Le rythme actuel de réchauffement est de 0,2 °C sur dix ans », souligne l’expert du Giec. Pour autant, les experts climat mandatés par les Nations Unies estiment qu’au-delà de 1,5 °C, il y aura des « conséquences graves, pendant des siècles et parfois irréversibles ». « Aujourd’hui, on se dirige vers +3 degrés d’ici à la fin du siècle ! Si on dit que l’objectif des 1,5 °C est enterré et qu’on table sur +2 degrés, on prend le risque que les Etats augmentent leur budget carbone », s’alarme Fanny Petitbon qui ajoute : « rester sous la barre des 2 degrés n’est possible que si tout le monde met la main à la pâte ».
« On ne peut plus faire l’autruche »
En attendant, chaque année bat plus de records que la précédente. Et 2023 s’est échinée à enterrer notre espoir d’une accalmie climatique. « Les records sont inévitables. C’est comme si vous remplissiez une baignoire d’eau et reveniez ponctuellement en vous exclamant "l’eau a monté !". Si vous ne fermez pas le robinet, il est évident que l’eau va continuer à couler », illustre François Gemenne. Si l’expert du Giec croit peu à un éventuel électrochoc, ce dernier est pourtant nécessaire. « On ne peut plus faire l’autruche ! Ça fait des décennies qu’on sait et aujourd’hui les pays du Nord sont bien plus touchés par des dérèglements climatiques. Il y a un enjeu de protection de ces populations », souligne Fanny Petitbon.
Les jeunes sont d’ailleurs particulièrement conscients de cette urgence et nombre d’entre eux se mobilisent dans l’espoir de sauver la planète - et par extension leur avenir, via des manifestations ou des procès. « Il faut arrêter de présenter l’action climatique comme une liste d’efforts et de renoncements et opérer des changements structurels », souligne François Gemenne. Car même si l’objectif de rester sous la barre des 1,5 °C s’éloigne de plus en plus, il n’est toutefois pas question de baisser les bras. Le réchauffement climatique entraîne (et entraînera plus encore à l’avenir) des dysfonctionnements dramatiques dans une kyrielle de sphères différentes. « Pollution, santé, agriculture, écosystème… Chaque dixième de degré compte », conclut Fanny Petitbon.