Hydrogène « vert » : au pied du mur, TotalEnergies change de stratégie
TotalEnergies réduit drastiquement les objectifs de production de son projet d’hydrogène « vert » Masshylia, porté avec Engie dans le sud de la France, confirmant des informations publiées en juin par La Tribune.
Marine Godelier 25 Nov 2024, latribune
C'est une annonce faite en fanfare, qui cache en réalité un renoncement. « TotalEnergies accélère la décarbonation de sa plateforme de La Mède (Bouches-du-Rhône) », via un « projet de production d'hydrogène renouvelable en partenariat avec Air Liquide ». Objectif : générer du biodiesel et des carburants aériens durables, a fait savoir le groupe ce lundi, dans un communiqué de presse. Avec un investissement global de 150 millions d'euros et une mise en service dès 2028, la nouvelle a tout l'air, à première vue, d'une avancée pour la transition énergétique.
Et pourtant, elle témoigne des difficultés que traverse la filière. À l'origine, TotalEnergies misait gros sur un autre projet pour produire de l'hydrogène « vert » à La Mède : Masshylia, élaboré avec Engie et annoncé en 2021. Celui-ci devait atteindre 120 mégawatts (MW) de capacité pour 16.000 tonnes produites par an dès 2026. Or ces objectifs ont été dramatiquement revus à la baisse, fait savoir la major dans le même communiqué, confirmant par là même des informations publiées en juin dernier par La Tribune.
Concrètement, la puissance installée ne dépassera pas 20 MW d'ici à 2029, « sous réserve de la confirmation des subventions européennes et françaises et des autorisations publiques nécessaires ». Avant d'atteindre, au mieux, 70 MW à un horizon plus lointain (pour l'heure non indiqué), soit près de 10.000 tonnes de production annuelle. A contrario, l'usine développée avec Air Liquide et annoncée ce lundi, pourra, elle, générer « 25.000 tonnes d'hydrogène par an », préciseTotalEnergies.
Électrolyse de l'eau ou vaporeformage du biopropane
Que s'est-il passé ? Les deux projets ne reposent pas sur la même technologie. Masshylia, qui devait déboucher sur le plus grand site de production d'hydrogène « vert » en France - le tout premier, même, à l'échelle industrielle -, s'appuie sur la méthode dite de « l'électrolyse ». Le principe : extraire l'hydrogène (H2) de l'eau (H2O) grâce à de l'électricité, générée par des fermes solaires et éoliennes construites aux environs.
Mais sur ce procédé, les déboires industriels se sont enchaînés. Comme nous le révélions dès le mois de mai, le fournisseur d'électrolyseurs, le belge John Cockerill, a rencontré d'importants soucis opérationnels. Et notamment dans la gestion de l'intermittence des énergies renouvelables - c'est-à-dire de la variabilité de leur production selon la météo - pour alimenter ces engins, qui ont besoin d'un courant électrique en continu.
« La variabilité de la production entraîne un vieillissement des composants plus important que prévu. On observe aussi un comportement des fluides différent de celui qu'on voyait à petite échelle, ainsi que des densités de courant imprévues, des points chauds qui se créent, et un endommagement des membranes », pointait en mai un expert du secteur.
Résultat, la major se tourne désormais, avec Air Liquide, vers une autre méthode : le vaporeformage de biopropane, issu d'huile végétale et de déchets organiques provenant de la bioraffinerie de la Mède. Le principe ? « Casser » ladite molécule (C3H8), grâce à de la vapeur d'eau très chaude, pour en libérer le dihydrogène (H2). Sans dépendre de l'électricité générée par les éoliennes et les panneaux solaires, donc.
Une mise à l'échelle plus difficile que prévu
Une chose est sûre : pour le marché des électrolyseurs, il s'agit d'un énième coup dur. Voire d'un désaveu ? John Cockerill est très loin d'être le seul industriel à rencontrer des difficultés dans la mise à l'échelle de ses électrolyseurs.
« Jusqu'à présent, nous sommes restés dans une approche très artisanale. Et force est de constater que les fournisseurs n'arrivent pas à fournir en quantité et en qualité les électrolyseurs. ThyssenKrupp a du mal, McPhy également », confiait il y a quelques mois à La Tribune un cadre dirigeant d'un grand groupe français
« Passer de 1 MW à 100 MW de capacité, ça ne revient pas à effectuer une simple multiplication. Comme pour toute innovation, mettre au point de gros électrolyseurs ne va pas se faire en un claquement de doigts, et c'est normal ! », soulignait alors Ludovic Leroy, ingénieur énergie à IFP Training.
En avril, Patrick Pouyanné s'était d'ailleurs montré très réservé sur l'essor rapide de l'hydrogène vert. Il avait affirmé au Forum économique mondial à Ryad que celui-ci était à « un stade embryonnaire », et que la priorité devait être donnée aux biocarburants obtenus à partir de la biomasse pour réduire les émissions. En février, Engie avait quant à lui retardé de 2030 à 2035 son objectif de production d'énergie à base d'hydrogène décarboné.