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L'expansion de la "porte des enfers" en Sibérie : un indicateur alarmant de l'urgence climatique et une menace croissante
Publié le 10 mai 2024 science et vie
Le permafrost sibérien, souvent perçu comme un géant endormi dans le climat mondial, se révèle sous une nouvelle forme alarmante à travers le cratère de Batagay, surnommé la « porte de l'enfer » ou « porte des enfers ». Ce phénomène de fonte accélérée expose des défis écologiques et géologiques majeurs.
La dynamique d'un géant, le cratère Batagay
Le réchauffement climatique provoque une hausse des températures et des précipitations dans l'Arctique, affectant profondément le permafrost. Selon le GIEC en 2021, cette augmentation thermique entraîne une profondeur accrue de dégel saisonnier. Elle active des processus de dégradation du permafrost, résultant souvent en des mouvements massifs de terrain. Cela provoque des affaissements ou des effondrements du sol.
Ces affaissements créent des ravines ou des crevasses qui s'élargissent progressivement, emportant avec eux des matériaux dégelés, auparavant stables sous forme de glace. Les matériaux, composés de boue, de roches et de sédiments riches en eau glacée, glissent alors vers des zones plus basses, souvent en suivant le relief naturel du terrain.
Le cratère de Batagay constitue le plus grand méga-affaissement de la planète. Il se situe dans les hautes terres de la Yana, en Sibérie. Ce phénomène géologique s'est formé à partir d'une ravine déjà présente. On le répertorie pour la première fois par des images satellites en 1991.
Depuis lors, l'effet combiné du réchauffement de l'air et de l'augmentation des précipitations dans la région a accéléré la fonte du permafrost. Cela entraîna alors une expansion continue du cratère. En 2014, le cratère mesurait 790 mètres de large. Mais des mesures récentes indiquent qu'il atteint désormais près de 990 mètres. Il a grandi de 200m en moins de 10 ans !
La récession annuelle du mur de tête, où le sol glacé s'effondre en arrière sous l'effet de la dégradation, est estimée à environ 12 mètres par an, soulignant l'intensité et la rapidité de l'érosion dans cette zone. La partie effondrée du flanc de la colline, qui est tombée 55 m sous le mur de tête, fond également rapidement et s'enfonce en conséquence.
Impacts écologiques profonds
L'expansion du cratère de Batagay constitue un indicateur de changements écologiques profonds influant directement sur le climat global. Le recul du mur de tête expose des couches de permafrost qui ont été gelées pendant des millénaires. Cela libère des gaz à effet de serre comme le méthane et le dioxyde de carbone précédemment emprisonnés.
Selon les recherches, une région de glace et de sédiments équivalente à plus de 14 grandes pyramides de Gizeh a fondu depuis l’effondrement de Batagay. Et depuis 2014, le volume annuel mobilisé s'élève à environ 1 million de m3. Ce processus entraîne la libération de 4000 à 5000 tonnes de carbone organique par an. Un chiffre effrayant compte tenu du rôle de ce gaz à effet de serre dans l'accélération du réchauffement climatique. Les auteurs de l'étude, en utilisant des modélisations géologiques 3D et des relevés de terrain détaillés, ont souligné que la quantité de carbone organique libérée pourrait être encore sous-estimée. Notamment en raison de la complexité des interactions entre les couches de permafrost et l'atmosphère.
La transformation rapide du cratère de Batagay influence considérablement l'environnement local et global. L'expansion du cratère modifie les cours d'eau environnants, entraînant des changements dans la qualité et la distribution de l'eau. Cela affecte directement les écosystèmes aquatiques et terrestres.
Selon l'étude, la libération massive de matériaux issus du permafrost, notamment des sédiments riches en nutriments et en matières organiques, altère la composition chimique de l'eau. Cette modification peut provoquer une augmentation des algues et une réduction de l'oxygène disponible. Ces variations perturbent la vie aquatique et menacent la biodiversité. De plus, ces changements affectent les communautés locales dépendant de ces ressources hydriques pour leur agriculture, leur pêche et leurs besoins quotidiens. Ils modifient ainsi leurs modes de vie traditionnels.
Un avenir sombre ?
Globalement, l'impact de l'expansion de Batagay sur le climat est également alarmant. Comme le précisent les auteurs, la libération accélérée de carbone « pose des défis significatifs pour les efforts de mitigation du changement climatique, car elle ajoute à la charge anthropique de CO2 déjà présente ». Le suivi de ces changements est crucial pour anticiper et atténuer les impacts à long terme de ces émissions sur le climat mondial.
Le cratère Batagay « continue de croître activement », écrivent les chercheurs. Mais il y a une limite à son extension. Le permafrost restant à l’intérieur du cratère n’a que quelques mètres d’épaisseur. De fait, « la possibilité d’un approfondissement supplémentaire a pratiquement déjà été épuisée en raison de la géologie du substrat rocheux sous-jacent ».
Néanmoins, ce phénomène de libération accélérée de carbone reste un exemple concret de la rétroaction positive du réchauffement sur le permafrost. Ainsi, le réchauffement entraîne plus de dégel, qui à son tour libère plus de gaz à effet de serre. Cela perpétue ainsi le cycle du réchauffement. Ces processus nécessitent une attention et une action internationale urgente pour comprendre pleinement leur portée et limiter leurs effets destructeurs sur le climat global.
Source : Alexander I. Kizyakov, et al., “Characterizing Batagay megaslump topography dynamics and matter fluxes at high spatial resolution using a multidisciplinary approach of permafrost field observations, remote sensing and 3D geological modeling”, Geomorphology, Volume 455, 15 June 2024, 109183
https://www.science-et-vie.com/nature-e ... 35500.html
https://www.rtbf.be/article/la-porte-de ... a-11233878
avec une courte vidéo dans ce lien.
Quand on a un javelin dans la main, tous les problèmes ressemblent à un T-72.