Excréments polluants
JEUDI, 28 JANVIER 2010 - Actu Toulouse.fr (
http://www.actutoulouse.fr/20100127638/ ... uants.html)
La Garonne, le Rhône, la Seine… Régulièrement, des laboratoires indépendants relèvent des taux anormalement élevés de radioactivité dans les grands fleuves français. La cause de cette pollution est connue : elle provient, en partie, des centres hospitaliers régionaux qui pratiquent la médecine nucléaire. Enquête.
Toulouse, les Amis de la Terre et la Commission de recherche et d’informations indépendantes sur la radioactivité (Criirad) ont récemment tiré la sonnette d’alarme. En septembre dernier, ils ont détecté la présence de traces radioactives à la sortie de la station d’épuration de Ginestous. Une station située à la limite de Toulouse et Blagnac et gérée par Véolia. “En aval de la station, nous avons constaté des niveaux entre 40 % et plus de 100% plus élevé qu’en amont, explique Alain Ciekanski, president des Amis de la Terre Midi-Pyrénées au moment des faits. Cela provient essentiellement des hôpitaux qui ne traitent pas correctement les déchets de leurs patients radioactifs.” Et ce n’est pas la première fois. En 1993 déjà, des taux similaires avaient été relevés.
La médecine nucléaire a progressé ces dernières années. De plus en plus de patients sont traités à base de solutions radioactives, telle que l’iode 131. Cet élement chimique permet notamment de réaliser des scintigraphies (IRM) et de traiter certains cancers (thyrroide, cerveau…). Seul inconvénient : les patients traités deviennent à leur tour radioactifs. “Durant les thérapies, des quantités importantes d’iode 131 sont administrées et le niveau de radiation mesurable au contact de la personne est 250 fois supérieur au niveau naturel, explique Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad. Les rejets de ces patients sont dès lors radioactifs pendant plusieurs semaines.”
Depuis une quinzaine d’année, des systèmes de collecte de leurs urines sont mis en place dans les hôpitaux. “80 % de la radioactivité est concentré dans l’urine et seulement 20% dans les selles”, détaille un des référents en radioprotection de l’hôpital Claudius-Regaud, à Toulouse. Ce qui explique que seules les urines soient collectées. Les selles radioactives sont elles directement rejetées dans le système d’évacuation des eaux usées.
“Le traitement des selles pose problème; aucun service de la médecine nucléaire n’est actuellement en mesure de le faire, precise François Le Clézio, directeur du projet de construction du futur cancéropole de Toulouse. Le stockage de selles pendant 90 jours représenterait un veritable risque de maladies nausocomiales. Ce serait une bombe bactériologique.”
Pour être dépolluées, les urines et selles doivent en effet être stockées dans des cuves de décroissance pendant plusieurs semaines afin de perdre leur taux de radioactivité. En France, la législation impose la récupération des urines, mais pas des selles. Contactés, les hôpitaux se retranchent donc derrière la loi. “Les installations sont conformes à la législation qui n’est pas draconienne sur la collecte des selles”, se défend l’hôpital Claudius-Regaud qui possède quatre chambres reliées à des cuves pour les patients traités à l’iode 131.
Sécuriser les déchets de la médecine nucléaire
Le taux anormalement élevé de radioactivité dans la Garonne proviendrait donc en partie de ce non-traitement des selles. Mais pas seulement. Il existe également le problème des patients traités à l’iode 131 qui rentrent chez eux. Aucun dispositif de collecte à domicile n’est mis en place pour le traitement de leurs déchets qui s’évacuent directement dans les eaux usées. Pour l’hopital, difficile d’envisager une autre solution. “On ne peut pas garder tous les patients traités à l’iode 131, une hospitalisation de 15 jours est économiquement impossible”, précise un des hôpitaux de Toulouse.
A l’initiative de la Communauté urbaine du Grand Toulouse, une réunion s’est tenue le 12 octobre en présence des élus, des hôpitaux, du Criirad, de l’IRSN, et de la station d’épuration. Tous ont souligné la necéssité de trouver des solutions, sans succès pour le moment. “Cela ne représente pas un danger pour les riverains ni pour le personnel de la station. L’eau du robinet est quand à elle captée bien en amont de la station, il n’y a donc pas lieu d’être alarmiste, rassure Henri Matéos, président de la commission eau et assainisement du Grand Toulouse. Mais il n’empêche que c’est une anomalie sur laquelle nous devons nous pencher. Et bien que le problème ne soit pas une spécificité toulousaine, peu de grandes villes ont entamé des discussions la dessus pour le moment.”
En septembre dernier, lorsque la Dépêche du Midi a annoncé ces nouveaux taux de radioactivité, les hôpitaux ont dans un premier temps pointé du doigt la station de Ginestous. Ils avancaient à l’époque que les filtres de la station étaient défaillant car “ils reconcentraient les rejets d’iode 131”. Aujourd’hui, cette hypothèse n’est plus d’actualité. Les hôpitaux sont enclins à avouer leur responsabilité et à trouver des solutions.
Rangueil, Claudius Regaud et l’ensemble des équipes du futur cancéropole réfléchissent désormais à une amélioration du système de collecte actuel. “Nous cherchons des éléments afin de sécuriser les déchets de la médecine nucléaire. Les selles posent problème mais nous allons trouver une solution d’ici 2013, car nous voulons les traiter sur le site du futur cancéropole, explique François Le Clézio, chef de projet du futur cancéropole. Nous ne pouvons pas attendre que la loi évolue, nous devons l’anticiper. Et les groupes de pression sont tels qu’il faut agir.”
La question est aujourd’hui de savoir si le problème doit être pris en charge à sa source, c’est à dire dans les hôpitaux, ou au niveau de la station d’épuration. Il semblerait que la première hypothèse soit privilégiée à l’heure actuelle, malgré la mauvaise santé financière des hôpitaux et bien que le stockage des selles, tel qu’il existe actuellement, représente des risques sanitaires. Du côté de la station Ginestous, Véolia n’envisage pas de prendre les choses en main. “Les stations de dépollution ne sont pas conçues pour traiter les pollutions radioactives comme l'iode 131, explique le service de communication de la station. Réglementairement, c'est aux hôpitaux de gérer cette dépollution avant le rejet dans les eaux usées.” Pourtant, cela permettrait de régler le problème des patients qui rentrent chez eux.
Dangereux ou non ?
Alors que le débat s’oriente sur les solutions à envisager pour régler le sort des déchets radioactifs des hôpitaux, une autre question reste à résoudre. Quel risque représente concrètement ces déchets pour la santé ? “En aval, nous avons constaté un niveau de 0,22 microsievert par heure à Ginestous contre 0,08 en amont du fleuve”, affirme Les Amis de la Terre et le Criirad.
Selon le service de communication de la station de Ginestous, “la DDAS contrôle les eaux qui arrivent à la station régulièrement. Et elle affirme que cela ne représente aucun danger pour les employés du site comme pour les populations.” D’après Pedro Gonzales, chercheur au CNRS à Toulouse, cette dose serait relativement faible : “Il existe un taux de radioactivité naturelle qui provient des roches, du sol, et qui est d’environ 2 microsievert, soit dix fois supérieur à celui provoqué par les rejets des hôpitaux, explique-t-il. Ce taux de radioactivité naturel est subit par tous et est acceptable.” Difficile donc de considérer ce taux de 0,22 microsievert relevé dans la Garonne, dangereux pour la santé de la population.
Par ailleurs, François Le Clézio, chef de projet du futur cancéropole, précise qu’il y a “peu de radioactivité naturelle dans la Garonne.” Par conséquent, le moindre taux de radioactivité est facilement décelable même s’il reste peu élevé.
Pourtant, les Amis de la terre se veulent alarmistes et s’inquiètent pour les communes situées en aval de la station d’épuration. “Ces eaux polluées sont rejetées à la limite entre Blagnac et Toulouse et elles peuvent être un danger à long terme pour les nappes phréatiques, explique Alain Ciekanski, l’ancien président de l’association. Les agriculteurs utlisent par exemple l’eau de la Garonne pour arroser leur champ. De plus, aucune mesure n’a été prise pour les communes en aval qui captent leurs eaux après la station.”
Pour l’adjoint à l’environnement de la commune de Blagnac, Pascal Boureau, “aucune inquiétude à avoir. Il n’y a aucun risque, personne ne se baigne dans la Garonne et notre eau du robinet est captée bien en amont. Ce sont des inquiétudes d’écologistes primaires !” Pour la commune de Fenouillet, c’est au Grand Toulouse de réagir. “On nous dit que cela ne représente pas de danger mais de toute façon, que voulez-vous que l’on fasse, confie Gilles Calestroupat, un des élus de la mairie. Aujourd’hui, la commune ne représente plus grand chose.”
En 1993, lorsque les Amis de la Terre avait révélé l’existence de cette radioactivté dans la Garonne, l’association avait porté plainte. “Cela avait fait bouger les choses puisque par la suite les hôpitaux avaient eu l’obligation de s’équiper de cuves pour le traitement des urines, avance Alain Cieskanski. Pour l’instant nous ne savons pas si nous allons ou non porter une nouvelle plainte. Nous ne sommes pas des procéduriers, nous voulons juste que les choses bougent.”
Le Grand Toulouse devrait à nouveau réunir les principaux acteurs dans les mois qui viennent mais pour le moment, difficile d’imaginer une solution car la législation reste elle même en retard sur le sujet. Du côté des hôpitaux, la construction du futur cancéropole accélère les réflexions sur le traitement de ces déchets radioactifs. La preuve qu’une réflexion est bien à mener.
David BURON
Arthur CESBRON
Laura PHILIPPON