Dans le petit monde des "proliférants"...
Ah Vienne nid d'espions !!! C'était le titre d'un film il me semble , après le ème homme.;
Vienne, le grand bazar du renseignement
Blaise Gauquelin, Lexpress.fr
jeudi 1er avril 2010,
La capitale autrichienne offre aux services secrets iraniens tout ce dont ils auront besoin, demain, pour contourner un éventuel renforcement des sanctions internationales.
Hasard cocasse du calendrier... Au moment où les Américains tentent avec difficulté de renforcer l’isolement économique des Iraniens, un espion nord-coréen surgit de nulle part et raconte comment il a, pendant deux décennies, allègrement contourné l’embargo mondial contre son pays ! Dans un livre (1) écrit avec deux journalistes autrichiens, Kim Jong Ryul révèle avoir acheté depuis Vienne, et jusqu’en 1994, matériel d’espionnage dernier cri, armes sophistiquées, avions, chars d’assaut, équipements de surveillance, téléphones à brouillage et même petits avions à moteur... Bref, tous les produits qui n’auraient jamais dû atterrir entre les mains du dictateur Kim Il-sung.
"L’Autriche, c’est la brèche", explique aujourd’hui le vieil homme en fuite, interrogé par L’Express. "Doté d’un passeport diplomatique, j’ai pu rentrer et sortir régulièrement de ce pays avec des armes à feu ou des attachés-cases bourrés de dollars. Les contrôles à l’aéroport ont toujours été délibérément laxistes. La seule chose que font les douanes, c’est de vérifier vos listes. Si tout est en ordre, alors vous passez. En vingt ans, elles n’ont jamais ouvert un carton, vérifié un chargement... alors que la Corée du Nord était le régime le plus marginalisé de la scène internationale !"
La Corée du Nord hier, l’Iran aujourd’hui...
La discrétion ? Une tradition viennoise. Ce qui plaisait tant à Pyongyang hier fait aujourd’hui les beaux jours d’autres régimes isolés. A quatre heures d’avion de Téhéran en vol direct, l’Autriche et ses atouts uniques restent intacts : secret bancaire, culture du paiement en liquide, anonymat téléphonique, mafias (italiennes et slaves), neutralité.
Et corruption. En échange d’une commission de 30%, sourire compris, de petites PME respectables ayant pignon sur rue, à quelques encablures de la cathédrale Saint-Etienne, achètent pour vous du matériel sous embargo partout dans le monde, et souvent aux Etats-Unis. Protégées par les réseaux bosniaques et géorgiens, mais aussi par la négligence complice de l’État, elles changent les emballages, fournissent de faux documents et graissent, lorsqu’il le faut, la patte des agents de douane.
Pourtant, comme l’ensemble de la communauté internationale, l’Autriche s’est engagée, à la suite du bras de fer avec la République islamique sur le nucléaire, à "faire preuve de vigilance et de retenue" concernant "la fourniture, la vente ou le transfert, direct ou indirect", d’armement à l’Iran. Mais ce qu’elle autorisait hier au lointain dictateur nord-coréen, rien n’indique qu’elle l’interdit aujourd’hui à son grand ami iranien. A Vienne, d’ailleurs, 48 diplomates persans sont officiellement enregistrés par le ministère de l’Intérieur. Un chiffre injustifié, bien supérieur à celui présenté par les délégations européennes. Selon une source diplomatique, Londres n’aurait détaché "que" 37 fonctionnaires à Vienne... .
Résultat, les Américains se montrent de plus en plus agressifs. "La CIA réinvestit la ville, confirme cette même source. Car elle se doute bien que les diplomates iraniens ne sont pas ici pour aller à l’opéra ou même pour négocier sur le dossier nucléaire à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ici, on peut observer, mieux qu’ailleurs, la manière dont les mollahs contournent l’embargo imposé depuis plus de vingt ans par Washington. On voit aussi quelles personnalités russes de haut rang les ministres en visite officielle rencontrent discrètement le soir, au restaurant, hors de tout cadre protocolaire."
La colère de l’Oncle Sam, l’Autriche semble s’en moquer. Dans un monde globalisé et sans consensus international sur un renforcement des sanctions à l’encontre de Téhéran, "les Autrichiens sont très à l’aise, commente un observateur. Ils n’ont pas de complexe par rapport aux grands". Une impression confirmée par les propos sibyllins recueillis récemment auprès d’un haut responsable de la police secrète autrichienne : "Depuis 1955, nous sommes un pays neutre. Nous nous sommes scrupuleusement pliés à cette neutralité et nous respectons les traités. Notre économie est intéressée par tous les marchés, sans exception. Cela veut dire que nous sommes amis avec tout le monde. Et que cette amitié est appréciée."
(1) Im Dienst des Diktator, ("Au service du dictateur"), Ingrid Steiner-Gashi et Dardan Gashi, éd. Ueberreuter, Vienne, mars 2010.