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Boues rouges toxiques : pourquoi l’usine française est moins dangereuse
Le 07 octobre 2010 Usine Nouvelle
Alors que les boues rouges toxiques ont gagné le Danube, augurant d'une catastrophe écologique majeure, l’usine française de Gardanne s’estime moins dangereuse que son homologue hongroise. En comparaison, ses résidus contiennent très peu de soude caustique, source de brûlures, et ceux stockés à proximité le sont sous forme solide. Explications.
Il existe dans l'hexagone une seule usine de production d'alumine. Cette dernière appartient à l'entreprise Rio Tinto Alcan et est située à Gardanne (Bouches-du-Rhône). Mise en service en 1893, c’est la plus ancienne usine d’alumine du monde. Ses rejets sont soumis à la réglementation des installations classées.
Interrogé par l’Usine Nouvelle, Alain Pavillon, directeur de l'usine de Gardanne, explique : «il existe un seul procédé au monde de fabrication de l’aluminium, appelé procédé Bayer ». Tous les industriels qui ont essayé autre chose s’y sont cassé les dents, et sont revenus à cette méthode qui permet d’attaquer le minerai de bauxite avec de la soude.
Pour séparer l’alumine des autres composants du minerai de bauxite, ce minerai est mis dans une sorte de cocotte-minute (l’autoclave). Pression, chaleur et soude dissolvent le minerai dont se dissocie l’alumine. Restent les résidus : du minerais de fer, de silice, des métaux lourds, et la soude. Ces fameuses boues rouges.
Les principaux groupes miniers que sont Alcoa (américain), Rio Tinto (anglo-australien) et Rusal (russe) utilisent différentes méthodes pour traiter les boues rouges. Contrairement au stockage pratiqué lors de l'accident en Hongrie, la soude est retirée du résidu stocké. « Très tôt, nous avons dû traiter la soude et la retirer des boues rouges par lavages successifs. Cette soude est ensuite recyclée : nous la réutilisons pour attaquer la bauxite» situe Alain Pavillon. Les raisons cet activisme sont avant tout réglementaires et économiques : l'aspect foncier compte à l'heure de déployer un bassin de stockage, "le mètre carré coûte cher en Provence", et la soude est loin d'être bon marché, "mieux vaut la réutiliser".
Une décharge à 1 km de l'usine
Cette réutilisation a un avantage en termes de sécurité. "Le seul risque dans notre usine est que la soude à l'état pur provoque des brûlures. Heureusement, nous la lavons au maximum avant qu'elle ne sorte de l'usine." La soude peut-elle totalement extraite des résidus et recyclée? "Il en reste toujours un peu", indique Alain Pavillon : 4 grammes par litre contre 250 grammes avant extraction. Cette boue de résidus est compressée, filtrée, et la matière humide issue du procédé est transportée dans une décharge à 1 km de l'usine. Les boues rouges y sont retenues dans une grande carrière par un petit barrage pour éviter qu’elles ne se répandent et provoquent des pollutions dans l’environnement. Ce site est surveillé et fermé, dans le cadre de règles strictes de sécurité. "A la différence de ce qui se pratique en Jamaïque, en Australie ou en Guinée, où ni la soude ni le terrain ne coûtent cher, et où les sites ne sont pas entourés de zones denses en population, nous ne stockons pas le tout dans des lacs de rétention, en attendant que le soleil vienne évaporer le liquide !" indique Alain Pavillon.
La décharge accumule tout de même deux millions de mètres cubes de boues rouges sèches. A titre de comparaison, la digue en Hongrie n'en contenait que la moitié en volume, mais à l'état liquide.
80% des boues rouges rejetées en mer
"Pour produire une tonne d'alumine, nous devons gérer 0,6 tonnes de boues rouges" explique Alain Pavillon. C'est mieux qu'en Hongrie, où la production d'une tonne d'alumine occasione 3 tonnes de déchets. La raison : "nous avons amélioré le procédé, en achetant une bauxite africaine très riche en alumine, ce qui permet de générer moins de boues rouges", explique-t-il. L'usine visant une production de 470.000 tonnes d'alumine pour 2010, elle devra tout de même gérer 288.000 tonnes de résidus.
Depuis 1967, l'usine est autorisée à rejeter ses résidus en mer. Elle utilise en grande majorité ce procédé, pour minimiser le stockage à terre. 80% des boues rouges sont ainsi reversées en pleine mer Méditerranée sous forme liquide, par le biais d’une canalisation. Là, la dangerosité est pourtant présente, même si elle est moins forte qu'en Hongrie. Liquides, ces boues rouges sont dangereuses pour la santé, comme la soude, dans la mesure où elles sont corrosives. Si elles se répandent dans les cours d’eau, elles provoquent une augmentation de la mortalité des poissons.
Les volumes ne sont toutefois pas comparables. On compte 250.000 tonnes maximum de boues rouges diluées dans l'eau et reversées sur 365 jours en France, contre 210.000 tonnes jetées en direction du Danube en un jour pour cause de rupture de digue en Hongrie! Un comité scientifique, créé en 1995 par décision du préfet et composé d'experts indépendants, surveille de près les impacts des 250 000 tonnes de boues annuelles rejetées dans la Méditerranée.
Des remblais d'autoroutes
Pour cause de directive européenne, l'usine française cherche désormais à trouver un débouché à ses résidus. En 2015 en effet, le site de Gardanne ne pourra plus rejeter ses boues rouges à la mer, et dès 2011, il sera limité à 180.000 tonnes. L'usine a déjà commencé à valoriser ses résidus sous forme de matière sèche appelée "bauxaline", rachetée par des groupes de travaux publics pour les soubassements de routes, ou pour remblayer la décharge d'ordures ménagères d'Entressen à Marseille.