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Par Valérie Borde
Après analyse du dossier, les experts de la Commission canadienne de sureté nucléaire (CCSN) jugent que le transport par bateau jusqu’en Suède des 16 générateurs de vapeur de la compagnie Bruce Power représente un risque négligeable.
Le Parti Québécois, le Bloc Québécois, des municipalités et groupes écologiques s’opposent au projet. Leurs arguments? Un joyeux mélange de méfiance, d’ignorance et de démagogie.
Une partie des opposants ne croit tout simplement pas les spécialistes de la CCSN. Pourquoi ? C’est un peu l’histoire du loup. Depuis des mois, des experts du gouvernement fédéral sont régulièrement muselés par le Premier ministre Stephen Harper, qui agit en outre parfois à l’encontre de leurs recommandations. Disons que ce climat n’est guère propice à la confiance.
La dernière fois que la Commission canadienne de sureté nucléaire a fait les manchettes, c’est en 2008, quand son ancienne présidente Linda Keen a été limogée par le gouvernement après qu’elle a déconseillé le redémarrage du réacteur nucléaire de Chalk River, jugé trop risqué. Son expertise avait alors dû céder le pas devant des considérations politiques, la gestion désastreuse de la production des isotopes médicaux par le Canada ayant placé le gouvernement Harper en très mauvaise posture sur la scène internationale.
Faut-il s’étonner maintenant qu’une partie de la population ne croit plus les experts de la CCSN, jugés à la solde du politique?
Pourtant, dans le dossier du transport des générateurs de vapeur, la CCSN a mis les bouchées doubles pour expliquer et justifier publiquement sa décision. Au vu des documents (notamment celui-ci, en pdf) qu’elle publie sur son site, il est très clair que le transport de ces équipements, si imposants soient-ils, n’a rien d’une catastrophe écologique en puissance et ne représente pas un danger significatif pour les riverains du fleuve.
D’ailleurs, depuis les débuts de l’industrie nucléaire, on n’a jamais recensé d’accident lors du transport de matières radioactives. Les normes de transport sont extrêmement strictes et établies à l’échelle internationale par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ce sont les mêmes normes qui s’appliquent au Canada qu’en Suède ou aux États-Unis
Chacun générateur de vapeur fait la taille d’un autobus scolaire. Mais la quantité de radioactivité qu’il contient est très faible: la dose émise à proximité, que les experts estiment à 0,08 millisieverts par heure, est 6 fois moindre que ce qu’émet un colis contenant des isotopes médicaux, comme il en circule 50 000 par an dans les rues de Montréal.
La radioactivité naturelle, à laquelle nous sommes exposés à l’année longue, est en gros de 2,5 millisieverts.
Certes, il n’existe pas de dose minimale à partir de laquelle on peut affirmer que la radioactivité ne cause pas de problème de santé. Sauf qu’en deça d’une certaine dose, on peut raisonnablement penser que le risque est absolument négligeable par rapport aux innombrables autres dangers qui nous guettent. Avoir peur de la quantité de radiation émise par les générateurs de vapeur, c’est un peu comme redouter un cancer du poumon parce que vous auriez fumé une seule cigarette au cours de toute votre vie!
Les isotopes médicaux ou les déchets nucléaires que l’on transporte sont habituellement confinés dans des emballages blindés, conçus pour résister aux chocs les plus violents. Dans le cas des générateurs de vapeur, un tel emballage n’est pas nécessaire, puisque que ces équipements sont déjà blindés.
C’est justement pour recycler cet énorme blindage d’acier que Bruce Power envoie ses générateurs en Suède : 90% va pouvoir être réutilisé dans d’autres usages, ce qui contribue à diminuer le volume de déchets à confiner. La partie radioactive va ensuite revenir au pays, convenablement emballée, pour rejoindre un site de stockage.
Même si elle n’a rien de particulièrement dangereux, cette opération représente une occasion en or pour des démagogues, qu’ils soient opposants à l’énergie nucléaire ou indépendantistes. Pensez donc! Des énormes déchets nucléaires de l’Ontario qui nous passent sous le nez ! Quelle belle occasion de surfer sur la peur pour faire valoir son point de vue!
Pourtant, le risque réel que représente le transport de ces déchets, qui semble effectivement négligeable au vu de l’analyse de la CCSN, ne doit pas être confondu avec les risques globaux que représente l’exploitation de l’énergie nucléaire.
L’équation «nucléaire = danger» est un peu simpliste. Tout est question de dose, de durée d’exposition, de radioprotection, de mesures de sécurité et de risque relatif.
On peut parfaitement être opposé à l’énergie nucléaire, pour des raisons tout à fait valables, sans pour autant craindre le transport de ces générateurs de vapeur.
C’est un dangereux précédent, entend-on aussi un peu partout. Faux! La CCSN n’a pas eu à faire de dérogation pour Bruce Power. Les règles habituelles pour le transport de matières dangereuses ont été respectées. Ce n’est pas la taille des équipements à transporter qui compte, mais le risque que représente leur transport, tenant compte des manipulations nécessaires.
Le fédéral s’immisce dans les affaires du Québec en autorisant ce transport, critique-t-on. Vrai! La sureté nucléaire est de juridiction fédérale, tout comme la voie maritime et les ports. On pourrait certes remettre tout cela en question.
Mais qui s’offusque que les raffineries de l’Ontario nous fassent passer leurs pétroliers sous le nez depuis des décennies? Et qui s’inquiète du blindage des isotopes médicaux qui circulent quotidiennement sur nos routes pleines de nids de poules et de gens ivres? Il est tellement facile de pointer du doigt le gouvernement fédéral avec ces gros générateurs de vapeur qui frappent l’imagination. Quitte à faire peur pour rien.
La CCSN doit croire Bruce Power sur parole, entend-on encore. Vrai! Mais pas extraordinaire. Dans bien des domaines, des fonctionnaires fédéraux ou provinciaux approuvent des produits ou des procédés industriels sur la foi de documents produits par l’industrie, après d’éventuelles inspections. C’est comme ça qu’on autorise de nouveaux médicaments, des aliments, des mines ou des usines.
Dans le cas du nucléaire, les experts connaissent particulièrement bien leurs dossiers, puisque la CCSN compte en permanence du personnel dans chacune des centrales nucléaires du pays. Leur compétence est reconnue. La décision au sujet de ces générateurs de vapeur a été rendue clairement et ouvertement. Que leur demander de plus?
À moins que tous les opposants au transport de ces déchets ne nous montrent des expertises scientifiques qui feraient la preuve que les experts ont erré, je ne vois pour l’instant pas de raison de leur faire plus confiance qu’aux spécialistes de la CCSN.
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