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par lionstone » 18 août 2005, 13:26
un bel article à lire
Quand les hedge funds imposent leur puissance à la planète financière
Armelle Bohineust
[11 août 2005]
Faut-il avoir peur des «hedge funds» ? Mode ou crainte justifiée, ces sociétés d'investissement spéculatif sont, en tout cas, devenues l'un des sujets chauds de la finance mondiale. Et une préoccupation jusque dans les sphères politiques. Au point que le thème a été évoqué par Gerhard Schröder lors du G 8, le sommet rassemblant les grands pays industrialisés, qui s'est tenu début juillet en Écosse. Le chancelier allemand y a réclamé des «normes minimales internationales» pour ces fonds accusés de tous les maux, sans que l'on sache d'ailleurs si c'est leur pouvoir grandissant ou leur fragilité potentielle qui inquiète le plus.
On évalue aujourd'hui le poids de ces sociétés d'investissement à 1 000 milliards de dollars, (800 milliards d'euros), soit presque autant que la totalité des placements des Français en assurance-vie. Or la plupart de ces fonds ne sont soumis à aucune règle, ni à aucun encadrement de la part des autorités financières, au contraire des banques ou des OPCVM. Et les accusations qui fusent sont nombreuses.
On reproche ainsi aux hedge funds d'appliquer des stratégies imprévisibles et peu claires et de prendre des risques disproportionnés par rapport à leurs fonds propres. A cela s'ajoute leur manque d'«affectio societatis» – autrement dit, ils n'ont pas d'état d'âme vis-à-vis des entreprises dans lesquelles ils investissent.
Tout cela n'affole pas les investisseurs. Car les hedge funds ont une qualité précieuse : ils dégagent en général des rendements supérieurs à ceux des autres fonds. Entre 1987 et 2004, leur performance annuelle moyenne a été de 14,94%, contre 10,7% seulement pour les valeurs du Nasdaq, a mesuré l'indice établi par le cabinet de conseil Hennessee. Même si le cru 2005 s'annonce moins bon, les institutionnels, comme les investisseurs individuels fortunés (le ticket d'entrée est souvent d'un million de dollars), s'y intéressent donc de plus en plus. Le groupe agroalimentaire Nestlé, qui leur a déjà confié plus de 12% des montants investis dans ses fonds de pension, prévoit ainsi d'augmenter significativement leur part au cours des prochaines années.
Résultat de cet engouement, le poids des hedge funds a été multiplié par deux en six ans. Près de 25 milliards de dollars ont été investis dans ces produits durant le seul premier trimestre 2005.
Autant dire qu'ils ont les moyens d'intervenir dans les entreprises dont ils deviennent actionnaires. Une stratégie dont ils ne se privent pas, quitte à déstabiliser ces firmes ou les marchés sur lesquels ils interviennent.
C'est d'ailleurs une ingérence spectaculaire dans une entreprise allemande qui a hérissé récemment la classe politique outre-Rhin. Il y a quelques mois, l'action concertée de plusieurs hedge funds, et du britannique TCI en particulier, a forcé le président du directoire de Deutsche Börse, Werner Seifert, à abandonner son projet d'acquisition de la Bourse de Londres puis à quitter son poste. Cette manifestation de puissance a été très mal vue en Allemagne. Franz Müntefering, le président du parti allemand au pouvoir, le SPD, n'a pas hésité à comparer les hedge funds à «une invasion de criquets qui s'abattent sur les entreprises allemandes, les dévorent, avant de repartir ailleurs».
Il faut dire que les objectifs de long terme des dirigeants d'une entreprise sont souvent éloignés des intérêts à plus court terme des gérants. D'autant plus que ces derniers temps, la stratégie de certains gérants de hedge funds a souvent consisté à pousser les entreprises à rendre leur cash aux actionnaires, plutôt qu'à investir.
Mais cette intrusion accrue dans la gestion des entreprises n'est pas le seul problème posé par les fonds spéculatifs. En avril et mai, ils ont été affectés par diverses turbulences et des performances en baisse. Outre-Atlantique, en particulier, le déclassement de la note de crédit de General Motors et la volatilité qui en a résulté sur les marchés, ont fait craindre des faillites en chaîne. Le mouvement redouté n'a pas eu lieu mais les difficultés rencontrées sur les dérivés de crédit (des produits de couverture contre le risque de défaillance d'un emprunteur) ont engendré pas mal de pertes.
Les fonds spécialisés en arbitrage de convertibles ont également souffert. Leur perte moyenne s'élève à 6% sur les six premiers mois de l'année et elle atteint même 25% pour certains fonds. Ces mauvaises performances ont d'ailleurs contraint quelques fonds à fermer, en dépit des collectes record réalisées en 2004. Mi-juin, le fonds britannique GLG Partners et l'américain Marin Capital auraient ainsi restitué près d'un milliard de dollars à leurs clients investisseurs. Et l'activité d'arbitrage de convertibles aurait été affectée par des retraits atteignant 10 milliards de dollars au premier trimestre 2005.
Au-delà des erreurs d'appréciation que peuvent commettre les gérants, la raison de ces baisses de performance est simple, jugent bon nombre d'observateurs. Avec un nombre croissant de fonds et, surtout, une masse colossale d'argent à placer, la concurrence réduit les opportunités de gain.
Toujours est-il que cette fragilité repose évidemment la question du risque systémique, c'est-à-dire d'une réaction en chaîne de faillites qui se propagerait à l'ensemble du système financier. Au-delà de la perte financière des clients investisseurs, la défaillance d'un fonds fait, en effet, porter un risque majeur aux banques prêteuses.
Or, celles-ci ont multiplié ces dernières années les crédits aux fonds spéculatifs. En 2004, la grande banque américaine Goldman Sachs tirait ainsi 1,3 milliard de dollars de cette activité. Et c'est sans compter les autres revenus apportés par les hedge funds, notamment en commissions sur les transactions. Toutes activités incluses, Goldman Sachs a tiré l'année dernière plus de 10% de ses revenus des hedge funds, estiment certains analystes financiers.
Il n'est donc pas surprenant que le spectre de LTCM revienne hanter les esprits. Ce fonds américain, qui avait massivement investi en roubles, a été totalement déstabilisé lors de la dévaluation brutale de la monnaie russe en 1998. Sa déconfiture a fait partir quatre milliards de dollars de capital en fumée et avait failli provoquer une déstabilisation massive de la finance mondiale. Pour y échapper, la banque centrale américaine, la Fed, avait dû intervenir et demander aux banques créancières du fonds de continuer à soutenir leur débiteur.
Mais si la question d'un encadrement réglementaire des hedge funds se pose à nouveau, la volonté d'exercer sur eux un réel contrôle n'est pas très forte. L'autorité des marchés britanniques, la FSA, qui s'est penchée récemment sur le sujet, s'oriente seulement vers un code de bonne conduite.
Et si la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, prévoit d'augmenter son contrôle sur les fonds spéculatifs en février 2006, elle se borne pour l'instant à prévoir un enregistrement officiel des gérants de hedge funds. Alan Greenspan, président de la Fed (la banque centrale américaine) est d'ailleurs loin de s'inquiéter.
Si après sa «récente croissance très rapide», le secteur peut se «contracter temporairement», il n'y a rien à craindre, estime le pape de la finance. Selon lui, «tant que les banques et les autres prêteurs géreront leurs risques de crédit de façon efficace, cet ajustement nécessaire ne devrait pas poser de problème pour la stabilité financière mondiale».
UN PO ça peut destabiliser l'économie mondiale?
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