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par Philippe » 11 août 2005, 22:57
C’est vrai que je suis producteur de pétrole, mais mon expérience est essentiellement l’exploitation de petits gisements (de quelques heures à quelques journées de consommation de la planète). Ce qui a un impact sur le monde, ce sont les 500 gisements (environ) dont les réserves (initiales) excèdent une semaine de consommation de la planète (en unités pétrolières, 500 millions de barils). Comment se comportent ces 500 gisements ? Plus spécifiquement, comment se comportent les très gros parmi les 500 ? Je n’ai aucune expérience de cela.
Je crois que Jean LAHERRERE a fait un gros travail sur certains de ces gisements, et est arrivé à des conclusions intéressantes. Qu’il s’agisse des gisements de la Mer du Nord (Forties, Brent, Statfjord, Gullfaks, etc.), des géants russes (Samotlor, Romashkino), des géants américains (Prudhoe Bay, East Texas), il a observé que les réserves ultimes ne dépendent pratiquement pas des investissements réalisés, pour autant qu’il en ait été fait suffisamment. En d’autres termes, au-delà d’un certain volume d’investissements, consistant en des puits, des pipe-lines, des installations d’injection d’eau ou de gaz, des systèmes de pompage pour les puits, etc., les investissements supplémentaires n’apportent pas de réserves additionnelles, mais accélèrent la récupération des réserves existantes. Cette accélération, à somme constante, a évidemment pour conséquence un déclin plus fort une fois que la chute est amorcée. Finalement, le rôle de l’ingénieur pétrolier est de trouver l’optimum économique d’un gisement, c’est-à-dire l’investissement qui maximisera le profit. Avec les taux d’actualisation utilisés dans l’industrie, qui sont de l’ordre de 12% à 15%, on biaise les calculs et on a tendance à accélérer la récupération, quitte à ce que la chute soit plus dure. Peut-être faudra-t-il en revenir à des taux d’actualisation plus soucieux de l’avenir, moins court-termistes ?
J’accorde beaucoup de crédit aux conclusions de Jean LAHERRERE, notamment puisque cela concorde avec ce que l’on observe sur les gisements plus petits. Je pense qu’il est dans le vrai. Maintenant, ses travaux ne portent que sur les gisements sur lesquels les statistiques sont accessibles (Royaume-Uni, USA, etc.). Or, les plus gros gisements sont ailleurs, avec Ghawar en Arabie Saoudite, Burgan au Koweit, etc. Pour cela, nous ne disposons pas de données précises. Ce manque de données explique le bruit fait par Matthew SIMMONS sur le potentiel de l’Arabie Saoudite. A-t-il raison, a-t-il tort ? Je ne saurais prendre parti. Il me faudrait, pour cela, éplucher les 200 publications saoudiennes disponibles auprès de la Society of Petroleum Engineers, sachant que chacune d’elles fait entre 5 et 10 pages écrit petit et en anglais. Je suis membre de la SPE et je pourrais le faire, mais c’est un travail de titan. Il me reste à prendre bonne note de ce qu’écrit SIMMONS, et à suivre avec une attention toute particulière ce qui se passe en production pétrolière en Arabie Saoudite. Si SIMMONS avait raison, les premiers éléments de confirmation devraient arriver dans les douze mois.
Pour conclure, je suis de l’avis que, dans la plupart des cas, les réserves d’un gisement augmentent avec les investissements qui sont consentis, jusqu’à un certain seuil où elles plafonnent. Tout investissement supplémentaire n’a plus, alors, pour vocation que d’accélérer la récupération.
Je voudrais juste, pour finir, tordre le cou aux 75% de taux de récupération annoncés dans l’article de Qibu. 75% de récupération du pétrole en place, c’est tout à fait exceptionnel. C’est le taux obtenu du gisement d’Intisar D en Libye, mais le gisement, un récif d’une qualité exceptionnelle, est totalement atypique. La norme pour les gisements est plutôt de 30 à 35%. Les très gros gisements, avec lesquels la nature s’est montrée particulièrement généreuse, peuvent atteindre 50%, voire 60%, mais rarement au-delà.