L'Irak s'enfonce dans le chaos, constatent les services de renseignement américains
LE MONDE | 03.02.07 | 14h44 • Mis à jour le 03.02.07 | 14h44
NEW YORK CORRESPONDANT
n rapport émanant des seize agences américaines de renseignement prédit une aggravation du chaos en Irak et une fracture du pays du fait de la violence sectaire si un changement de cap politique n'intervient pas rapidement. Ce document de synthèse de 90 pages, rédigé par le Conseil national du renseignement, est intitulé "Prospects for Iraq's Stability : A Challenging Road Ahead" (Perspectives pour la stabilité en Irak : un chemin difficile). Il a été demandé par le Congrès en août 2006 et formule des prévisions pour les dix-huit prochains mois.
Un résumé a été rendu public vendredi 2 février. Les deux premières phrases sont sans ambiguïté : "La polarisation grandissante de la société, la faiblesse persistante des forces de sécurité et de l'Etat en général et le fait que toutes les parties se préparent à recourir encore davantage à la violence mènent à une augmentation des affrontements, de l'insurrection et de l'extrémisme. Si des efforts ne sont pas faits pour rétablir la situation et déboucher sur des progrès mesurables, nous estimons que la sécurité va continuer à se dégrader dans les douze à dix-huit mois à un rythme comparable à celui de la fin de 2006".
Seule solution, selon les agences de renseignement, pour inverser cette tendance : que les sunnites admettent la nouvelle structure politique du pays et que les chiites et les Kurdes leur fassent une place plus grande.
Mais la tâche des dirigeants irakiens est jugée "extrêmement difficile". Si la situation continue à se dégrader, trois scénarios sont possibles : une "partition de fait" du pays en "trois zones antagonistes", chiite, sunnite et kurde ; la possibilité qu'un nouvel homme fort, cette fois chiite, émerge et gouverne par la terreur ; enfin, l'anarchie, le chaos et un Etat totalement défaillant.
"SÉVÈRE MAIS JUSTE"
Le rapport estime qu'un retrait rapide des forces américaines conduirait à encore plus de violence et de chaos : "Les forces de la coalition restent un élément stabilisateur essentiel. Si elles se retirent dans les dix-huit mois, nous estimons que cela conduira presque certainement à une augmentation de la violence sectaire."
Les services de renseignement mettent l'accent, "en dépit de progrès réels", sur les capacités toujours limitées des forces de sécurité irakiennes qui "auront de grandes difficultés dans les prochains dix-huit mois à assumer plus de responsabilités" et qui, laissées seules, "ne survivraient probablement pas en tant qu'institution nationale non confessionnelle".
Le document utilise le terme de "guerre civile" pour décrire "des éléments clés du conflit", mais estime qu'il ne reflète pas "la complexité de la situation". Une analyse partagée par le secrétaire à la défense, Robert Gates. Il a estimé, vendredi, qu'il existe aujourd'hui quatre guerres en Irak. "Il y en a une entre chiites, surtout dans le sud. La deuxième est intercommunautaire, surtout à Bagdad, mais pas seulement. La troisième vient d'insurgés ; la quatrième, d'Al-Qaida", a-t-il déclaré.
La Maison Blanche a jugé le rapport "sévère mais juste" et estime qu'il n'est pas contradictoire avec sa nouvelle stratégie, qui consiste à augmenter le nombre de soldats américains en Irak de 21 500 hommes dans les prochains mois pour rétablir la sécurité à Bagdad.
Contestée par le Congrès et la majorité de l'opinion, cette stratégie a été critiquée, jeudi, devant la Commission des forces armées du Sénat, par le général Casey, ancien commandant des troupes américaines en Irak. M. Casey, qui a été remplacé en janvier par le général David Petraeus, était auditionné pour être confirmé dans ses nouvelles fonctions de chef d'état-major. Il a expliqué qu'il avait demandé deux brigades supplémentaires (environ 8 000 hommes) et pas cinq (21 500 hommes) car il ne voulait pas "amener un soldat de plus en Irak que ce qui est nécessaire".
M. Casey a déclaré à plusieurs reprises qu'il considérait des renforts comme "inutiles, voire contre-productifs". Il a été limogé pour cela, mais a tout de même été promu. Il a été pris à partie par le sénateur républicain, John McCain, candidat à l'investiture présidentielle, qui a qualifié d'"échec" ses deux ans et demi à la tête des troupes américaines en Irak.
Eric Leser
Article paru dans l'édition du 04.02.07.