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Il est volontiers admis que ces dernières années témoignent de l’émergence de régimes qui se veulent démocratiques, mais n’en ont que l’apparence. En effet, de nombreuses recherches ont produit une variété d’étiquettes pour des cas mixtes, incluant, entre autres, « régime hybride », « semi-démocratie », « démocratie électorale », « pseudo-démocratie », « démocratie illibérale », « démocrature », « constitutionnalisme illibéral », « constitutionnalisme autoritaire », « constitutionnalisme abusif » ou encore « autoritarisme électoral ». Quoi qu’il en soit, indépendamment du nom qu’on leur donne, ces régimes, qui étaient conçus à l’origine comme des démocraties, ont subi des transformations et partagent désormais des traits communs. Ils se trouvent entre la démocratie et la dictature tout en possédant les caractéristiques des deux. Quant au niveau de protection des libertés dans ces régimes, il va toujours de pair avec celui du respect des principes démocratiques, autrement dit, « l’érosion des libertés entraîne nécessairement une érosion démocratique tandis que, d’autre part, une érosion démocratique n’est possible qu’au moyen d’une érosion des libertés politiques »
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La France bascule-t-elle ?
Ces derniers mois, dans le contexte d’une réforme des retraites marqué par les manifestations et leur interdiction, leur surveillance généralisée, les violences policières, les décisions controversées du Conseil constitutionnel et plus récemment l’attaque contre la Ligue des droits de l’homme, des inquiétudes concernant le respect des libertés d’expression, de manifestation, d’association et des débats houleux sur la question de savoir si la France bascule dans la catégorie des démocraties illibérales ont refait surface. Pour certains, la « crise démocratique » sonne l’alarme d’une dérive autoritaire alors que pour d’autres de telles comparaisons sont dangereuses. Le danger n’est cependant peut-être pas là où certains le voient et la distinction entre deux formes de démocratie mérite d’être nuancée. La question demeure de savoir si la France peut être comparée à des pays qui rentrent déjà dans les catégories des « démocraties défectueuses » où les libertés sont largement remises en cause, voire complètement méconnues. Aussi semble-t-il nécessaire de saisir le mode de fonctionnement très particulier de ces démocraties que l’on appelle désormais illibérales (adjectif que l’on retient ici par pure commodité de langage).
Dans ces régimes qui instrumentalisent la démocratie, cette dernière est réduite au jour des élections. Par conséquent, la société cesse d’avoir un impact significatif sur le fonctionnement et la conduite de l’État
. Autrement dit, il n’y a pas de véritables plateformes libérales qui pourraient renforcer le respect des institutions et ancrer une culture civique qui irait au-delà du moment symbolique du vote. Ainsi, les élections occupent une place primordiale pour asseoir la légitimité des gouvernants et les dirigeants autocrates arrivent au pouvoir conformément aux règles démocratiques. Il n’en reste pas moins que, dès qu’ils accèdent à cette fonction, leur premier objectif est de neutraliser la séparation des pouvoirs et de gouverner en dehors du cadre des mécanismes de contrôle qui pèsent sur l’exercice de leur pouvoir. Par ailleurs, bien que les élections continuent d’être organisées, les forces de l’opposition sont confrontées à de graves obstacles lorsqu’elles cherchent à remporter les élections. Dans une démocratie libérale, la compétition politique et la représentation par des élus sont encouragées, tandis que dans une démocratie illibérale ces procédés sont écartés au profit d’une revendication exclusive de la représentation et du droit de parler au nom du peuple. Une forme de concurrence se fait jour où, à côté des lois que les parlements continuent d’adopter, de plus en plus de normes émanent d’actes pris par le seul pouvoir exécutif lui-même incarné par une seule personne. Autant de normes qui entrent en concurrence voire neutralisent lesdites lois. Enfin, un autre trait caractéristique bien connu de ces régimes réside dans le mode de gouvernement autoritaire qui est organisé autour du culte de l’homme fort, viril, efficace et intransigeant, mais également proche du peuple et loin de l’élite intellectuelle ou artistique. On pense évidemment à Recep Tayyip Erdoğan qui a transformé la Turquie en « démocratie islamique » et s’affiche en représentant de la nation tant historique que contemporaine. À la lumière de ces observations, les juristes considèrent que rentrent dans cette description les États comme la Turquie, la Hongrie, la Pologne, la Russie ou encore Israël.