le monde a écrit :
Le vrai coût du sauvetage des banques, par Martin Wolf
Avons-nous les moyens de redresser nos systèmes financiers ? La réponse est oui. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas les redresser. La grande question est de savoir comment y parvenir au mieux.
Le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur la stabilité financière mondiale livre une analyse pertinente et sans fard de l'état du système. Ses auteurs ont relevé leurs estimations du montant des pertes du secteur à près de 4 400 milliards de dollars (3 368 milliards d'euros).
Cette révision à la hausse est due en partie au fait que le rapport prend en compte les pertes sur les actifs européens et japonais, évaluées respectivement à 1 193 milliards et 149 milliards de dollars, ainsi que celles enregistrées sur les actifs des marchés émergents détenus par des banques des pays développés, estimées à 340 milliards de dollars. Mais c'est aussi parce que les pertes sur les actifs basés aux Etats-Unis ont grimpé à 2 712 milliards de dollars, alors qu'elles n'atteignaient que 1 405 milliards de dollars en octobre 2008 et 945 milliards en avril 2008.
Pour s'en faire une idée plus concrète, les pertes estimées par le FMI représentent trente-sept années d'aide officielle au développement à son niveau de 2008. Et les pertes sur les seuls actifs américains et européens représentent 13 % du produit intérieur brut de ces deux régions...
Le FMI a également évalué les sommes nécessaires à la recapitalisation des banques. Il est parti des pertes totales enregistrées jusqu'à la fin de 2008, qui se montent à 510 milliards de dollars aux Etats-Unis, 154 milliards dans la zone euro et 110 milliards au Royaume-Uni. Le capital levé jusqu'à la fin de 2008 a été de 391 milliards de dollars aux Etats-Unis, 243 milliards dans la zone euro et 110 milliards au Royaume-Uni.
Mais le FMI estime les pertes additionnelles en 2009 et 2010 à 550 milliards de dollars aux Etats-Unis, 750 milliards dans la zone euro et 200 milliards au Royaume-Uni. Au vu de cette situation, le FMI estime le montant net des bénéfices non distribués à 300 milliards aux Etats-Unis, 600 milliards dans la zone euro et 175 milliards au Royaume-Uni.
Le FMI souligne que le ratio du volume des fonds propres par rapport au total des actifs - un instrument de mesure auquel les investisseurs, échaudés par des ratios de risque plus sophistiqués, font de plus en plus confiance - était de 3,7 % aux Etats-Unis à la fin de 2008, mais de 2,5 % seulement dans la zone euro et de 2,1 % au Royaume-Uni.
Le FMI en conclut que les fonds propres supplémentaires nécessaires pour réduire les effets de levier à 17 pour 1 (ou pour ramener les fonds propres à 6 % du total des actifs) seraient de 500 milliards de dollars aux Etats-Unis, 725 milliards dans la zone euro et 250 milliards au Royaume-Uni. Pour un effet de levier de 25 à 1, il faudrait injecter 275 milliards de dollars aux Etats-Unis, 375 milliards dans la zone euro et 125 milliards au Royaume-Uni !
Au vu des circonstances actuelles, les chances de pouvoir lever de telles sommes sur les marchés sont nulles. D'autant qu'elles pourraient malgré tout s'avérer insuffisantes. Les estimations du FMI sur les pertes potentielles des seuls actifs américains n'ont-elles pas quasiment triplé en une seule année ? Il ne serait pas surprenant qu'elles augmentent encore.
Ce ne sont pourtant pas les seules sommes indispensables. Les gouvernements ont jusqu'ici fourni 8 900 milliards de dollars de financement pour les banques, au travers de facilités de prêts, de plans d'achats d'actifs et de garanties. Mais cela ne correspond qu'au tiers de leurs besoins de financement.
En se fondant sur l'idée que les dépôts croissent au même rythme que le PIB nominal, le FMI estime que le "déficit de refinancement" des banques - refinancement à court terme des prêts interbancaires et des titrisations, plus refinancement à échéance de la dette à long terme - passera de 20 700 milliards de dollars à la fin de 2008 à 25 600 milliards fin 2011, soit un peu plus de 60 % du total de leurs actifs. Et ces montants ne tiennent même pas compte de la disparition des prêts titrisés au travers de ce que l'on appelle le "système bancaire fantôme", lequel était particulièrement important aux Etats-Unis.
Le FMI procède également à de nouvelles estimations du coût budgétaire final des mesures de sauvetage. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni y consacreront respectivement 13 % et 9 % de leur PIB. Ailleurs, les coûts sont bien inférieurs. Il s'agit, heureusement, de montants parfaitement supportables. En vérité, si on les compare à l'impact de la récession sur la dette publique, ils paraissent tout à fait gérables. Certes, ils risquent fort de s'avérer au bout du compte plus élevés.
Mais tout indique que les coûts budgétaires d'une récession grave seraient substantiellement supérieurs à ceux impliqués par le sauvetage des établissements financiers. Refuser de sauver les systèmes financiers au motif que cela coûterait trop cher serait un très mauvais calcul.
Une meilleure raison pour refuser le sauvetage des banques consiste à invoquer ses effets néfastes sur les comportements des marchés. L'alternative, dans ce cas, ne peut être que la faillite. Jeremy Bulow, de l'université Stanford, et Paul Klemperer, de l'université d'Oxford, ont proposé un plan qui résoudrait le problème de façon satisfaisante. Les fonctions bancaires saines de chaque établissement seraient scindées et transférées sur une nouvelle banque "intermédiaire", laissant les passifs (séparés des dépôts) dans l'ancienne banque. On donnerait des actions de la nouvelle banque aux créanciers abandonnés. Les gouvernements pourraient renflouer certains créanciers au-delà de ce niveau, sans pour autant les dédommager entièrement comme c'est le cas aujourd'hui.
Certains sont d'avis, et leur opinion est respectable, qu'il vaudrait mieux dédommager entièrement les créditeurs des établissements les plus importants. Le raisonnement procède de l'idée que c'est le seul moyen d'enrayer une nouvelle panique. L'objection que l'on peut y faire ne concerne pas le coût budgétaire d'une telle mesure, mais le fait que, dans ce cas, seul un nombre limité de grands établissements "trop gros pour sombrer" verrait alors le jour. Leurs créanciers penseraient alors tout naturellement qu'ils prêtent à des gouvernements. Ce serait l'assurance de catastrophes encore plus graves dans les années à venir.
Cependant, imposer de lourdes pertes aux créanciers représente en effet un gros risque. Il faudrait probablement y procéder partout de façon simultanée. Et ce n'est qu'après avoir acquis la certitude que les banques survivantes seraient saines que l'on accepterait à nouveau de leur accorder des prêts sans garanties.
Pour le meilleur ou pour le pire, les autorités ont décidé de venir en aide à leurs systèmes financiers grâce à l'argent des contribuables. Presque tous les pays touchés devraient être en mesure de le faire, en tout cas si l'on se fonde sur les chiffres du FMI. A présent, ayant pris la décision fondamentale d'empêcher la banqueroute, ils doivent rétablir la santé de leurs systèmes financiers aussi vite que possible.
Mais en admettant qu'ils y parviennent, ce sera une condition nécessaire mais non suffisante pour un retour à une croissance économique solide. Le poids de l'endettement rend le désendettement inévitable. Mais il est à peine amorcé. Ceux qui espèrent un retour rapide à ce qu'ils pensaient être la normale il y a deux ans doivent renoncer à leurs illusions.
Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times".© FT.
(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)