Retard à l'allumage pour les betteraviers
Un coup pour rien au pays des rois de la betterave. Hier, la Commission européenne a décidé de reporter sine die sa décision très attendue de faire passer de 3,5 % actuellement à 5 % puis 10 % la part de l'éthanol contenu dans le carburant des voitures. Une aubaine en vue pour la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), qui commence à s'impatienter sérieusement : «Nous avançons, mais à petit pas», déplore Alain Jeanroy, secrétaire général de la CGB, qui se verrait bien en champion des biocarburants. Pour lui, il y aurait plutôt urgence. Car le bon vieux sucre, principal débouché des betteraviers depuis l'après-guerre, ça eut payé. Las ! la Commission européenne et l'Organisation mondiale du commerce se sont mises d'accord en 2005 pour faire baisser le prix du sucre acquitté par les consommateurs en déréglementant le marché. Avec à la clé une baisse des subventions publiques et un changement du régime de quotas, jusqu'ici très favorable aux planteurs de betteraves. «A cause de cette réforme, le revenu des producteurs de betteraves a baissé de 20 % l'an dernier, et les surfaces emblavées pour la production de sucre se sont rétrécies de 14 %», se plaint Alain Jeanroy.
Traitement.
Déçus par le sucre, les planteurs de betteraves croient désormais dur comme fer aux biocarburants, portés par la vague du développement durable et des économies de pétrole : 20 000 hectares de terres sont donc passés ces derniers mois d'une production de sucre à une production d'éthanol, contre 12 000 hectares pour les céréales. Les qualités énergétiques de la betterave devraient lui permettre de s'arroger environ 70 % de la part de l'éthanol produit en France, contre 30 % aux céréales comme le blé et le maïs. C'est pourquoi la CGB pousse à la construction de grosses unités de traitement de betteraves-éthanol capables de produire 2,5 millions d'hectolitres de biocarburant par an . Actuellement, la France ne compte qu'une dizaine de petites unités de production.
Encore faudrait-il pouvoir distribuer ces nouveaux carburants aux automobilistes. Là, c'est un peu mollasson. Dans la Marne, par exemple, un département test choisi par le gouvernement pour lancer l'éthanol, seules deux pompes étaient ouvertes et en état de fonctionner à la date du 9 janvier dernier. Début faiblard alors que l'Etat caresse de grandes ambitions : Thierry Breton, le ministre des Finances, a indiqué récemment que la France compterait «plus de 500 pompes vertes» d'ici la fin de 2007, chiffre qui devrait «tripler en 2008».
Compétition.
Inquiets de ce retard à l'allumage, les betteraviers sont également préoccupés par les appétits du Brésil, un des champions mondiaux de l'agrobusiness, qui produit déjà 180 millions d'hectolitres d'éthanol à lui tout seul, contre une dizaine de millions pour l'ensemble des producteurs européens. «Nous craignons que l'Union européenne signe prochainement un accord bilatéral avec le Mercosur [marché commun des pays d'Amérique du Sud, ndlr]. Ce serait la porte ouverte à l'importation massive d'éthanol, dont le Brésil est l'un des plus gros producteurs», explique Alain Jeanroy, décidément peu désireux de s'ouvrir à la concurrence internationale. Une compétition qui devrait néanmoins se durcir sur l'éthanol : hier, le président américain, George W. Bush, a indiqué au forum de Davos que les Etats-Unis comptaient augmenter leurs investissements en biocarburants pour faire baisser la consommation d'essence (lire aussi en page 9).
En France, les seules fausses notes sont venues de l'UFC-Que choisir. L'association de consommateurs évoque «une forte incertitude scientifique» sur le rendement énergétique réel de ce biocarburant et proteste contre les avantages fiscaux «démesurés» accordés aux agriculteurs qui se lancent dans ce nouvel eldorado. L'UFC aurait préféré que le gouvernement mette l'accent sur le biodiesel, fabriqué en France à partir de produits oléagineux (colza, etc.) et susceptible de favoriser le développement des transports en commun, qui fonctionnent au diesel.
Libération